Tristan Corbière


La Fin


 

    Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines
Dans ce morne horizon se sont évanouis !...
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 
Combien de patrons morts avec leurs équipages !
L’Océan, de leur vie a pris toutes les pages,
Et, d’un souffle, il a tout dispersé sur les flots,
Nul ne saura leur fin dans l’abîme plongée...
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 
Nul ne saura leurs noms, pas même l’humble pierre,
Dans l’étroit cimetière où l’écho nous répond,
Pas même un saule vert qui s’effeuille à l’automne,
Pas même la chanson plaintive et monotone
D’un aveugle qui chante à l’angle d’un vieux pont.
V. Hugo. — Oceano nox.


 
Eh bien, tous ces marins — matelots, capitaines,
Dans leur grand Océan à jamais engloutis...
Partis insoucieux pour leurs courses lointaines
Sont morts — absolument comme ils étaient partis.
 
Allons ! c’est leur métier ; ils sont morts dans leurs bottes !
Leur boujaron au cœur, tout vifs dans leurs capotes...
— Morts...  Merci : la Camarde a pas le pied marin ;
Qu’elle couche avec vous : c’est votre bonne femme...
— Eux, allons donc : Entiers ! enlevés par la lame !
          Ou perdus dans un grain...
 
Un grain... est-ce la mort ça ? la basse voilure
Battant à travers l’eau ! — Ça se dit encombrer...
Un coup de mer plombé, puis la haute mâture
Fouettant les flots ras — et ça se dit sombrer.
 
— Sombrer — Sondez ce mot. Votre mort est bien pâle
Et pas grand’chose à bord, sous la lourde rafale...
Pas grand’chose devant le grand sourire amer
Du matelot qui lutte. — Allons donc, de la place ! —
Vieux fantôme éventé, la Mort change de face :
                  La Mer !...
 
Noyés ? — Eh allons donc ! Les noyés sont d’eau douce.
— Coulés ! corps et biens ! Et, jusqu’au petit mousse,
Le défi dans les yeux, dans les dents le juron !
À l’écume crachant une chique râlée,
Buvant sans hauts-de-cœur la grand’ tasse salée...
          — Comme ils ont bu leur boujaron. —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 
— Pas de fond de six pieds, ni rats de cimetière :
Eux ils vont aux requins ! L’âme d’un matelot
Au lieu de suinter dans vos pommes de terre,
            Respire à chaque flot.
 
— Voyez à l’horizon se soulever la houle ;
        On dirait le ventre amoureux
D’une fille de joie en rut, à moitié soûle...
        Ils sont là ! — La houle a du creux. —
 
— Écoutez, écoutez la tourmente qui beugle !...
C’est leur anniversaire — Il revient bien souvent —
Ô poète, gardez pour vous vos chants d’aveugle ;
— Eux : le De profundis que leur corne le vent.
 
... Qu’ils roulent infinis dans les espaces vierges !...
              Qu’ils roulent verts et nus,
Sans clous et sans sapin, sans couvercle, sans cierges...
— Laissez-les donc rouler, terriens parvenus !
 

                                 
À bord. — 11 février.


______
Boujaron : ration d’eau-de-vie.

Les Amours jaunes, 1873

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