Jules Laforgue

L'Imitation de Notre-Dame la Lune, 1886


Climat, faune, flore de la Lune


 
Des nuits, ô Lune d’Immaculée-Conception,
Moi, vermine des nébuleuses d’occasion,
J’aime, du frais des toits de notre Babylone,
Concevoir ton climat et ta flore et ta faune.
 
Ne sachant qu’inventer pour t’offrir mes ennuis,
Ô Radeau du Nihil aux quais seuls de nos nuits !
 
Ton atmosphère est fixe, et tu rêves, figée
En climats de silence, écho de l’hypogée
D’un ciel atone où nul nuage ne s’endort
Par des vents chuchotant tout au plus qu’on est mort ?
Des montagnes de nacre et des golfes d’ivoire
Se renvoient leurs parois de mystiques ciboires,
En anses où, sur maint pilotis, d’un air lent,
Des Sirènes font leurs nattes, lèchent leurs flancs,
Blêmes d’avoir gorgé de lunaires luxures
Là-bas, ces gais dauphins aux geysers de mercure.
 
Oui, c’est l’automne incantatoire et permanent
Sans thermomètre, embaumant mers et continents,
Étangs aveugles, lacs ophtalmiques, fontaines
De Léthé, cendres d’air, déserts de porcelaine,
Oasis, solfatares, cratères éteints,
Arctiques sierras, cataractes l’air en zinc,
Hauts-plateaux crayeux, carrières abandonnées,
Nécropoles moins vieilles que leurs graminées,
Et des dolmens par caravanes, — et tout très
Ravi d’avoir fait son temps, de rêver au frais.
 
Salut, lointains crapauds ridés, en sentinelles
Sur les pics, claquant des dents à ces tourterelles
Jeunes qu’intriguent vos airs ? Salut, cétacés
Lumineux ! et vous, beaux comme des cuirassés,
Cygnes d’antan, nobles témoins des cataclysmes ;
Et vous, paons blancs cabrés en aurores de prismes ;
Et vous, Fœtus voûtés, glabres contemporains
Des Sphinx brouteurs d’ennuis aux moustaches d’airain
Qui, dans le clapotis des grottes basaltiques,
Ruminez l’Enfin ! comme une immortelle chique !
 
Oui, rennes aux andouillers de cristal ; ours blancs
Graves comme des Mages, vous déambulant,
Les bras en croix vers les miels du divin silence !
Porcs-épics fourbissant sans but vos blêmes lances ;
Oui, papillons aux reins pavoisés de joyaux
Ouvrant vos ailes à deux battants d’in-folios ;
Oui, gélatines d’hippopotames en pâles
Flottaisons de troupeaux éclaireurs d’encéphales ;
Pythons en intestins de cerveaux morts d’abstrait,
Bancs d’éléphas moisis qu’un souffle effriterait !
 
Et vous, fleurs fixes ! mandragores à visages,
Cactus obéliscals aux fruits en sarcophages,
Forêts de cierges massifs, parcs de polypiers,
Palmiers de corail blanc aux résines d’acier !
Lys marmoréens à sourires hystériques,
Qui vous mettez à débiter d’albes musiques
Tous les cent ans, quand vous allez avoir du lait !
Champignons aménagés comme des palais !
 
Ô Fixe ! on ne sait plus à qui donner la palme
Du lunaire ; et surtout quelle leçon de calme !
Tout a l’air émané d’un même acte de foi
Au Néant Quotidien sans comment ni pourquoi !
Et rien ne fait de l’ombre, et ne se désagrège ;
Ne naît, ni ne mûrit ; tout vit d’un Sortilège
Sans foyer qui n’induit guère à se mettre en frais
 
Que pour des amours blancs, lunaires et distraits.....
Non, l’on finirait par en avoir mal de tête,
Avec le rire idiot des marbres Égynètes
Pour jamais tant tout ça stagne en un miroir mort !
Et l’on oublierait vite comment on en sort.
 
Et pourtant, ah ! c’est là qu’on en revient encore
Et toujours, quand on a compris le Madrépore.
 

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Βruаnt : Соnаssе

Dеsbоrdеs-Vаlmоrе : «J’étаis à tоi pеut-êtrе аvаnt dе t’аvоir vu...»

Сrоs : Lеntо

Сосtеаu : Ρаuvrе Jеаn

Сосtеаu : Ρаuvrе Jеаn

Βаudеlаirе : Βiеn lоin d’iсi

Сrоs : Ιnsоumissiоn

Νоаillеs : L’Εmprеintе

Viviеn : Viоlеttеs blаnсhеs

Du Βеllау : «Si mеs éсrits, Rоnsаrd, sоnt sеmés dе tоn lоs...»

☆ ☆ ☆ ☆

Сrоs : Sоnnеt métаphуsiquе

Rimbаud : Ρrеmièrе Sоiréе

Сrоs : Sоnnеt métаphуsiquе

Hugо : «Hеurеuх l’hоmmе, оссupé dе l’étеrnеl dеstin...»

Сhаpmаn : Αu fоnd du bоis

Viаu : «Hеurеuх, tаndis qu’il еst vivаnt...»

Νоuvеаu : Fillе dе fеrmе

Rilkе : «Сhеmins qui nе mènеnt nullе pаrt...»

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur «Τhiаrd, qui аs сhаngé еn plus grаvе éсriturе...» (Du Βеllау)

De Сосhоnfuсius sur L’Αbsinthе (Ρоnсhоn)

De Сосhоnfuсius sur L’Εnfеr (Αpоllinаirе)

De Jаdis sur Sоnnеt d’Αutоmnе (Βаudеlаirе)

De Jаdis sur Αu fоnd du bоis (Сhаpmаn)

De Сhristiаn sur «J’еntrаis сhеz lе mаrсhаnd dе mеublеs, еt là, tristе...» (Νоuvеаu)

De Jаdis sur «Βоnnе аnnéе à tоutеs lеs сhоsеs...» (Gérаrd)

De Сurаrе- sur Rесuеillеmеnt (Βаudеlаirе)

De Сurаrе- sur «Сеpеndаnt qu’аu pаlаis dе prосès tu dеvisеs...» (Du Βеllау)

De Сurаrе_ sur Sоnnеt : «Quаnd је rеpоsеrаi dаns lа fоssе, trаnquillе...» (Gоudеаu)

De Сurаrе_ sur Lе Τоmbеаu dе Сhаrlеs Βаudеlаirе (Μаllаrmé)

De Vinсеnt sur Τоmbеаu du Ρоètе (Dеubеl)

De Xi’аn sur «Μоn âmе pаisiblе étаit pаrеillе аutrеfоis...» (Τоulеt)

De Lа Μusеrаntе sur Соntrе Ligurinus : «Τоut lе mоndе tе fuit...» (Dubоs)

De Vinсеnt sur «Un sоir, lе lоng dе l’еаu, еllе mаrсhаit pеnsivе...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De Xi’аn sur Lе Суgnе (Rеnаrd)

De Сurаrе- sur «Sаintе Τhérèsе vеut quе lа Ρаuvrеté sоit...» (Vеrlаinе)

De Ρоéliсiеr sur «Αmоurs јumеаuх, d’unе flаmmе јumеllе...» (Ρаssеrаt)

De Lеbrun sur «Jе rêvе, tаnt Ρаris m’еst pаrfоis un еnfеr...» (Соppéе)

De Rоzès sur Lе Сinémа (Siсаud)

De GΟUUΑUX sur «J’étаis à tоi pеut-êtrе аvаnt dе t’аvоir vu...» (Dеsbоrdеs-Vаlmоrе)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе