Lautréamont(1846-1870) D’autrеs pоèmеs :Lеs gémissеmеnts pоétiquеs dе се sièсlе... Ιl у еn а qui éсrivеnt pоur rесhеrсhеr lеs аpplаudissеmеnts humаins... J’étаblirаi dаns quеlquеs lignеs соmmеnt Μаldоrоr... Lесtеur, с’еst pеut-êtrе lа hаinе quе tu vеuх quе ј’invоquе... Ρlût аu сiеl quе lе lесtеur... Lеs mаgаsins dе lа ruе Viviеnnе... Αvаnt d’еntrеr еn mаtièrе, је trоuvе stupidе... оu еncоrе :Οn nе mе vеrrа pаs, à mоn hеurе dеrnièrе... Сеt еnfаnt, qui еst аssis sur un bаnс du јаrdin dеs Τuilеriеs... Jе mе prоpоsе, sаns êtrе ému, dе déсlаmеr... Lа Sеinе еntrаînе un соrps humаin...
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LautréamontLes Chants de Maldoror, 1869
Une potence s’élevait sur le sol ; à un mètre de celui-ci, était suspendu
par les cheveux un homme, dont les bras étaient attachés par derrière.
Ses jambes avaient été laissées libres, pour accroître ses tortures, et
lui faire désirer davantage n’importe quoi de contraire à l’enlacement
de ses bras. La peau du front était tellement tendue par le poids de la
pendaison, que son visage, condamné par la circonstance à l’absence de
l’expression naturelle, ressemblait à la concrétion pierreuse d’un
stalagtite. Depuis trois jours, il subissait ce supplice. Il s’écriait :
« Qui me dénouera les bras ? qui me dénouera les cheveux ? Je me disloque
dans des mouvements qui ne font que séparer davantage de ma tête la
racine des cheveux ; la soif et la faim ne sont pas les causes
principales qui m’empêchent de dormir. Il est impossible que mon
existence enfonce son prolongement au delà des bornes d’une heure.
Quelqu’un pour m’ouvrir la gorge, avec un caillou acéré ! » Chaque mot
était précédé, suivi de hurlements intenses. Je m’élançai du buisson
derrière lequel j’étais abrité, et je me dirigeai vers le pantin ou
morceau de lard attaché au plafond. Mais, voici que, du côté opposé,
arrivèrent en dansant deux femmes ivres. L’une tenait un sac, et deux
fouets, aux cordes de plomb, l’autre, un baril plein de goudron et deux
pinceaux. Les cheveux grisonnants de la plus vieille flottaient au vent,
comme les lambeaux d’une voile déchirée, et les chevilles de l’autre
claquaient entre elles, comme les coups de queue d’un thon sur la
dunette d’un vaisseau. Leurs yeux brillaient d’une flamme si noire et si
forte, que je ne crus pas d’abord que ces deux femmes appartinssent à
mon espèce. Elles riaient avec un aplomb tellement égoïste, et leurs
traits inspiraient tant de répugnance, que je ne doutai pas un seul
instant que je n’eusse devant les yeux les deux spécimens les plus
hideux de la race humaine. Je me recachai derrière le buisson, et je me
tins tout coi, comme l’acantophorus serraticornis, qui ne montre que la
tête en dehors de son nid. Elles approchaient avec la vitesse de la
marée ; appliquant l’oreille sur le sol, le son, distinctement perçu,
m’apportait l’ébranlement lyrique de leur marche. Lorsque les deux
femelles d’orang-outang furent arrivées sous la potence, elles
reniflèrent l’air pendant quelques secondes ; elles montrèrent, par leurs
gestes saugrenus, la quantité vraiment remarquable de stupéfaction qui
résulta de leur expérience, quand elles s’aperçurent que rien n’était
changé dans ces lieux : le dénoûment de la mort, conforme à leurs vœux,
n’était pas survenu. Elles n’avaient pas daigné lever la tête, pour
savoir si la mortadelle était encore à la même place. L’une dit : « Est-ce
possible que tu sois encore respirant ? Tu as la vie dure, mon mari
bien-aimé. » Comme quand deux chantres, dans une cathédrale, entonnent
alternativement les versets d’un psaume, la deuxième répondit : « Tu ne
veux donc pas mourir, ô mon gracieux fils ? Dis-moi donc comment tu as
fait (sûrement c’est par quelque maléfice) pour épouvanter les vautours ?
En effet, ta carcasse est devenue si maigre ! Le zéphyr la balance comme
une lanterne. » Chacune prit un pinceau et goudronna le corps du pendu...
chacune prit un fouet et leva les bras... J’admirais (il était
absolument impossible de ne pas faire comme moi) avec quelle exactitude
énergique les lames de métal, au lieu de glisser à la surface, comme
quand on se bat contre un nègre et qu’on fait des efforts inutiles,
propres au cauchemar, pour l’empoigner aux cheveux, s’appliquaient,
grâce au goudron, jusqu’à l’intérieur des chairs, marquées par des
sillons aussi creux que l’empêchement des os pouvait raisonnablement le
permettre. Je me suis préservé de la tentation de trouver de la volupté
dans ce spectacle excessivement curieux, mais moins profondément comique
qu’on n’était en droit de l’attendre. Et, cependant, malgré les bonnes
résolutions prises d’avance, comment ne pas reconnaître la force de ces
femmes, les muscles de leur bras ? Leur adresse, qui consistait à frapper
sur les parties les plus sensibles, comme le visage et le bas-ventre, ne
sera mentionnée par moi, que si j’aspire à l’ambition de raconter la
totale vérité ! À moins que, appliquant mes lèvres, l’une contre l’autre,
surtout dans la direction horizontale (mais, chacun n’ignore pas que
c’est la manière la plus ordinaire d’engendrer cette pression), je ne
préfère garder un silence gonflé de larmes et de mystères, dont la
manifestation pénible sera impuissante à cacher, non seulement aussi
bien mais encore mieux que mes paroles (car, je ne crois pas me tromper,
quoiqu’il ne faille pas certainement nier en principe, sous peine de
manquer aux règles les plus élémentaires de l’habileté, les possibilités
hypothétiques d’erreur) les résultats funestes occasionnés par la fureur
qui met en œuvre les métacarpes secs et les articulations robustes :
quand même on ne se mettrait pas au point de vue de l’observateur
impartial et du moraliste expérimenté (il est presque assez important
que j’apprenne que je n’admets pas, au moins entièrement, cette
restriction plus ou moins fallacieuse), le doute, à cet égard, n’aurait
pas la faculté d’étendre ses racines ; car, je ne le suppose pas, pour
l’instant, entre les mains d’une puissance surnaturelle, et périrait
immanquablement, pas subitement peut-être, faute d’une sève remplissant
les conditions simultanées de nutrition et d’absence de matières
vénéneuses. Il est entendu, sinon ne me lisez pas, que je ne mets en
scène que la timide personnalité de mon opinion : loin de moi, cependant,
la pensée de renoncer à des droits qui sont incontestables ! Certes, mon
intention n’est pas de combattre cette affirmation, où brille le
critérium de la certitude, qu’il est un moyen plus simple de s’entendre ;
il consisterait, je le traduis avec quelques mots seulement, mais, qui
en valent plus de mille, à ne pas discuter : il est plus difficile à
mettre en pratique que ne le veut bien penser généralement le commun des
mortels. Discuter est le mot grammatical, et beaucoup de personnes
trouveront qu’il ne faudrait pas contredire, sans un volumineux dossier
de preuves, ce que je viens de coucher sur le papier ; mais, la chose
diffère notablement, s’il est permis d’accorder à son propre instinct
qu’il emploie une rare sagacité au service de sa circonspection, quand
il formule des jugements qui paraîtraient autrement, soyez-en persuadé,
d’une hardiesse qui longe les rivages de la fanfaronnade. Pour clore ce
petit incident, qui s’est lui-même dépouillé de sa gangue par une
légèreté aussi irrémédiablement déplorable que fatalement pleine
d’intérêt (ce que chacun n’aura pas manqué de vérifier, à la condition
qu’il ait ausculté ses souvenirs les plus récents), il est bon, si l’on
possède des facultés en équilibre parfait, ou mieux, si la balance de
l’idiotisme ne l’emporte pas de beaucoup sur le plateau dans lequel
reposent les nobles et magnifiques attributs de la raison, c’est-à-dire,
afin d’être plus clair (car, jusqu’ici je n’ai été que concis, ce que
même plusieurs n’admettront pas, à cause de mes longueurs, qui ne sont
qu’imaginaires, puisqu’elles remplissent leur but, de traquer, avec le
scalpel de l’analyse, les fugitives apparitions de la vérité, jusqu’en
leurs derniers retranchements), si l’intelligence prédomine suffisamment
sur les défauts sous le poids desquels l’ont étouffée en partie
l’habitude, la nature et l’éducation, il est bon, répétè-je pour la
deuxième et la dernière fois, car, à force de répéter, on finirait,
le plus souvent ce n’est pas faux, par ne plus s’entendre, de revenir
la queue basse (si même, il est vrai que j’aie une queue) au sujet
dramatique cimenté dans cette strophe. Il est utile de boire un verre
d’eau, avant d’entreprendre la suite de mon travail. Je préfère en boire
deux, plutôt que de m’en passer. Ainsi, dans une chasse contre un nègre
marron, à travers la forêt, à un moment convenu, chaque membre de la
troupe suspend son fusil aux lianes, et l’on se réunit en commun, à
l’ombre d’un massif, pour étancher la soif et apaiser la faim. Mais,
la halte ne dure que quelques secondes, la poursuite est reprise avec
acharnement et le hallali ne tarde pas à résonner. Et, de même que
l’oxygène est reconnaissable à la propriété qu’il possède, sans orgueil,
de rallumer une allumette présentant quelques points en ignition, ainsi,
l’on reconnaîtra l’accomplissement de mon devoir à l’empressement que
je montre à revenir à la question. Lorsque les femelles se virent dans
l’impossibilité de retenir le fouet, que la fatigue laissa tomber de
leurs mains, elles mirent judicieusement fin au travail gymnastique
qu’elles avaient entrepris pendant près de deux heures, et se
retirèrent, avec une joie qui n’était pas dépourvue de menaces pour
l’avenir. Je me dirigeai vers celui qui m’appelait au secours, avec
un œil glacial (car, la perte de son sang était si grande, que la
faiblesse l’empêchait de parler, et que mon opinion était, quoique je
ne fusse pas médecin, que l’hémorragie s’était déclarée au visage et au
bas-ventre), et je coupai ses cheveux avec une paire de ciseaux, après
avoir dégagé ses bras. Il me raconta que sa mère l’avait, un soir,
appelé dans sa chambre, et lui avait ordonné de se déshabiller, pour
passer la nuit avec elle dans un lit, et que, sans attendre aucune
réponse, la maternité s’était dépouillée de tous ses vêtements, en
entre-croisant, devant lui, les gestes les plus impudiques. Qu’alors il
s’était retiré. En outre, par ses refus perpétuels, il s’était attiré la
colère de sa femme, qui s’était bercée de l’espoir d’une récompense, si
elle eût pu réussir à engager son mari à ce qu’il prêtât son corps aux
passions de la vieille. Elles résolurent, par un complot, de le suspendre
à une potence, préparée d’avance dans quelque parage non fréquenté, et de
le laisser périr insensiblement, exposé à toutes les misères et à tous
les dangers. Ce n’était pas sans de très mûres et de nombreuses réflexions,
pleines de difficultés presque insurmontables, qu’elles étaient enfin
parvenues à guider leur choix sur le supplice raffiné qui n’avait trouvé
la disparition de son terme que dans le secours inespéré de mon
intervention. Les marques les plus vives de la reconnaissance soulignaient
chaque expression, et ne donnaient pas à ses confidences leur moindre
valeur. Je le portai dans la chaumière la plus voisine ; car, il venait de
s’évanouir, et je ne quittai les laboureurs que lorsque je leur eus laissé
ma bourse, pour donner des soins au blessé, et que je leur eusse fait
promettre qu’ils prodigueraient au malheureux, comme à leur propre fils,
les marques d’une sympathie persévérante. À mon tour, je leur racontai
l’événement, et je m’approchai de la porte, pour remettre le pied sur le
sentier ; mais, voilà qu’après avoir fait une centaine de mètres, je revins
machinalement sur mes pas, j’entrai de nouveau dans la chaumière et,
m’adressant à leurs propriétaires naïfs, je m’écriai : « Non, non... ne
croyez pas que cela m’étonne ! » Cette fois-ci, je m’éloignai
définitivement ; mais, la plante des pieds ne pouvait pas se poser d’une
manière sûre : un autre aurait pu ne pas s’en apercevoir ! Le loup ne
passe plus sous la potence qu’élevèrent, un jour de printemps, les mains
entrelacées d’une épouse et d’une mère, comme quand il faisait prendre,
à son imagination charmée, le chemin d’un repas illusoire. Quand il
voit, à l’horizon, cette chevelure noire, balancée par le vent, il
n’encourage pas sa force d’inertie, et prend la fuite avec une vitesse
incomparable ! Faut-il voir, dans ce phénomène psychologique, une
intelligence supérieure à l’ordinaire instinct des mammifères ? Sans rien
certifier et même sans rien prévoir, il me semble que l’animal a compris
ce que c’est que le crime ! Comment ne le comprendrait-il pas, quand des
êtres humains, eux-mêmes, ont rejeté, jusqu’à ce point indescriptible,
l’empire de la raison, pour ne laisser subsister, à la place de cette
reine détrônée, qu’une vengeance farouche !
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