L’hiver vient de tousser son dernier coup de rhume
Et fuit, emmitouflé dans sa ouate de brume.
On ne reverra plus, avant qu’il soit longtemps,
Sur la vitre, allumée en prismes éclatants,
Fleurir la fleur du givre aux étoiles d’aiguilles.
Voici qu’un frisson monte à la gorge des filles !
C’est le printemps. Salut, bois verts, oiseaux chanteurs,
Ciel délicat ! La brise, où flottent des senteurs,
Apporte on ne sait d’où les amoureuses fièvres ;
Et des baisers, errants dans l’air, cherchent des lèvres.
Mais le dur paysan retourne à ses travaux.
Pour lui, qu’importe avril et ses désirs nouveaux ?
Ce qu’il sait seulement, c’est qu’il faut quitter l’âtre,
Qu’il faut recommencer la lutte opiniâtre
Contre la terre en rut, buveuse de sueurs.
Et le chant des oiseaux, l’aube aux fraîches lueurs,
Les papillons, l’azur, lui disent : — Prends ta blouse
Et travaille. La terre est ta femme jalouse
Et veut que tu sois tout à elle, et tout le jour.
Féconde-la, vilain, sans penser à l’amour. —
Et le dur paysan baise la terre grise
Sans humer les senteurs qui flottent dans la brise,
Sans ouvrir sa poitrine aux souffles embrasés.
Où vous poserez-vous, vols errants de baisers,
Essaim tourbillonnant des amoureuses fièvres ?
Heureusement pour vous que les gueux ont des lèvres.
Ils sont là tous les deux, la fille et le garçon,
Sous la feuillée, ainsi qu’alouette et pinson.
Ils écoutent le vent qui caresse la plaine.
Deux enfants ! Car l’aînée a dix-sept ans à peine.
Mais on voit qu’elle sait le mystère d’amour,
Depuis quand, et par qui ? depuis longtemps. Un jour,
Lorsqu’elle était encor toute petite fille,
Sa jeunesse tenta les désirs d’un vieux drille,
Compagnon de misère, et qui ne craignit pas
De faire un mauvais crime après un bon repas.
Depuis, elle a servi, sans remords, sans tristesse,
Aux plaisirs de plus d’un vagabond. On la laisse
Quand c’est fini. Cela se fait tout simplement.
Mais son cœur ne sait pas ce que c’est qu’un amant.
Or, voici qu’aujourd’hui son cœur est plein de choses
Qu’elle ignorait. Un doux voile de lueurs roses
Couvre son front tanné par le vent des chemins.
De longs chatouillements inquiètent ses mains.
Il lui semble qu’un souffle a monté sous sa robe.
La terre a des aspects de lit, et se dérobe
Sous elle, et lentement, comme par un toucher
Langoureux et lascif, l’invite à se coucher.
— Mon petit Jean, viens donc ! Asseyons-nous ensemble.
Et l’enfant de quinze ans s’assied près d’elle, et tremble.
Il ne sait rien. Ce n’est qu’un pauvre mendiant
Qu’elle a trouvé, voici trois jours, seul et priant
Près de la porte d’une église de village.
Le besoin d’être deux au lieu d’être seul, l’âge,
Le pain partagé, puis sans doute le parfum
D’avril, ont mis ces deux misères en commun.
Elle est bonne pour lui comme ne fut personne.
Aussi l’aime-t-il bien. D’où vient donc qu’il frissonne
En s’asseyant près d’elle, et pourquoi dans ses yeux
Cet air d’effarement et ce trouble anxieux ?
Ah ! c’est qu’il sent aussi bouillonner dans ses veines
Le flot avant-coureur des ivresses prochaines,
Et qu’au fleuve inconnu qui monte à son cerveau
Il chancelle comme un qui boit du vin nouveau.
Et la fille se tord entre ses bras, pâmée,
Et lui souffle à l’oreille une haleine enflammée
Pleine de mots obscurs et de secrets ouverts.
Il halète. Sa main, sur les seins découverts,
Ignorante, se pose et tressaille. Une bouche
Est sous la sienne. Un feu mystérieux le touche.
Il est enveloppé d’une étreinte de fer.
Et tout son cœur se fond dans un subil éclair.
Ô gueux, enivrez-vous de l’amour printanière !
Allez, sous le buisson qui vous sert de tanière,
Personne ne vous voit que le bois et le ciel.
L’abeille, qui bourdonne en butinant son miel,
Ne racontera pas les choses que vous faites.
Le papillon, joyeux de voir les champs en fêtes,
Vole sans bruit parmi la plaine aux cent couleurs,
Et pour vous imiter conte fleurette aux fleurs.
Seul, un oiseau, perché sur la plus haute feuille,
Entend les mots qu’on dit et les baisers qu’on cueille,
Et semble se moquer de vous, le polisson !
Mais tout ce qu’il raconte en l’air n’est que chanson.
Aimez-vous ! Savourez, loin du monde et des hommes,
Ce qu’on a de meilleur sur la terre où nous sommes !
Pâmez-vous dans les bras l’un de l’autre sans fin !
Abreuvez votre soif d’aimer ! À votre faim
Repaissez-vous longtemps de caresses trop brèves !
Vivez cette minute ainsi qu’on vit en rêves !
Dans le débordement de ce fleuve vermeil
Noyez les jours sans pain, et les nuits sans sommeil,
Et tout ce qui vous reste à vivre dans la dure !
Ô gueux, soyez heureux ! L’amour vous transfigure.
Malgré vos pauvretés, vous êtes riches, beaux.
De l’amour éternel vous portez les flambeaux.
Oui, l’amour qui fait battre à l’instant votre artère,
C’est celui qui féconde autour de vous la terre
C’est celui dont la brise apporte les senteurs,
C’est celui des bois verts et des oiseaux chanteurs,
Celui qui fait gonfler les seins comme des voiles,
Celui qui dans les cieux fait rouler les étoiles,
C’est l’amour éternel que tout veut apaiser
Et par qui l’univers n’est qu’un vaste baiser.