Rollinat

Les Apparitions, 1896


Le Voyageur


 
Pluie oblique, vent serpentin,
Et bruit grondant sur la bruyère ;
De grands flamboiements au lointain...
 
Or, les ténèbres ont atteint
Et noyé la campagne entière.
Tout est moite, informe et déteint :
 
C’est l’opaque après l’indistinct !
Là, le cavalier solitaire
S’avance et recule incertain.
 
Il sent le danger clandestin
De ce limoneux coin de terre
Où l’a conduit, fourbe et mutin,
 
Un farfadet, mauvais lutin.
Certe ! il est homme à caractère,
Il a le cœur ferme et hautain !
 
Mais un pas de plus ! son destin
Pourra bien être qu’il s’enterre :
La sangsue attend son festin
 
Dans ce marais qui s’est éteint
Sans avoir fini de se taire,
Car plein d’horreur et de venin,
 
Par ce temps noir, si peu bénin,
Il renforce au fond du mystère
Ses voix de sorcière et de nain.
 
L’homme égaré frémit d’instinct,
Il entend battre son artère.
Quoi ! rester là, jusqu’au matin !
 
La peur donne un son souterrain
À ses appels qu’il réitère...
Et sa jument mâche son frein,
 
Elle s’agite, elle se plaint,
Et d’une stridente manière,
Par instants, hurle à son poulain.
 
Il crie encor... toujours en vain !
Tout à coup un fil de lumière
Luit là-bas, mais si fin, si fin !...
 
Il s’en guide et près d’un ravin
Rencontre une auberge-chaumière.
Comme il a plus sommeil que faim
 
Il prend à peine un doigt de vin,
Ronfle un peu le front sur son verre
Et monte se coucher : enfin !
 
Mais chez cet engourdi, soudain
Un réveil anxieux s’opère :
« Pas d’armes ! pas même un gourdin !
 
« L’hôtelier a l’air d’un gredin
Et sa femme d’une vipère,
Malgré leur langage badin !

« Le fils ? un sournois patelin !
L’aubergiste et lui font la paire...
Et quel gaillard herculéen ! »
 
Un avertissement divin
Lui dit qu’il est dans un repaire...
Vite, avec un œil de devin,
 
Le teint couleur de parchemin,
Il s’en va droit au lit qu’il flaire,
Et dessous trouve un corps humain,
 
Un mort, comme il sera demain,
Tout à l’heure même ! Que faire ?...
Il l’arrache par une main,
 
Met au lit l’affreux mannequin
Qui devra bien le contrefaire,
Et prend sa place. — « Cré coquin ! »
 
Grince en bas le vieux, âpre au gain :
« Encor cette nuit, bonne affaire ! »
Et montrant ses dents de requin,
 
Il ricane : « Pas de voisins !
Rien que les trois croix du calvaire
Pour dénoncer les assassins ! »
 
Au dehors, lugubre et malsain,
L’orage humide persévère ;
Le ciel est d’un noir de fusain.
 
Minuit tinte comme un tocsin
À l’horloge oblongue et sévère :
Ils vont accomplir leur dessein.
 
Rampant à genoux, sur les poings,
Ils montent l’escalier de pierre ;
Devant la porte aux ais mal joints,
 
Avec un falot très ancien,
Le couple attend. Le gars compère
À peine entré, ressort. — « Eh bien ?
 
Ça y est ! J’ai mis peu de temps, hein ?
Et l’hache ? demande le père...
Elle est là, sur le traversin. »
 
Mais quelqu’un, rompant l’entretien,
Apparaît vêtu d’un suaire...
— C’est le premier mort qui revient !
 
Et voici le second ! Il tient
Et brandit l’arme meurtrière :
Trois coups sourds, trois cris, puis plus rien.
 
Et, sous le ciel toujours chagrin,
Le cavalier fend l’atmosphère.
Tant elle accélère son train
 
La grande jument poulinière !
 

Commentaire (s)
Déposé par Cochonfucius le 15 juin 2016 à 17h47

Porte armoricaine
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Sous l’oeil d’un monstre serpentin
Est un portail, dans la bruyère ;
Pèlerin venu des lointains,
Malheur, si tu l’avais atteint  !

Les portes n’en sont pas entières,
Fendues sous leur émail déteint,
Porteuses d’un texte indistinct,
Oeuvre d’un barde solitaire.

Allons, ne sois pas incertain :
Pour un voyageur clandestin,
Il est du malheur sur la terre.
Laisse à ce portail son mystère !

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