Hugo

L'Âne, 1880


IX

 
Conduite de l’homme vis-à-vis de lui-même


 
Dieu, nature, cité ; la loi, l’esprit, la lettre ;
Mais à quel point de vue enfin faut-il se mettre
Pour trouver le bon sens de votre enseignement ?
Je feuillette et relis tout l’homme vainement,
Je ne vois point par où son cœur s’améliore,
Je vois la nuit grandir si je vois l’astre éclore.
 
Voyons, regarde un peu, bonhomme impartial.
Nous avons contre nous notre angle facial,
Nous autres animaux ; on est, de par son crâne,
Contraint d’être un chacal ou forcé d’être un âne ;
L’instinct bas nous conduit par le bout du museau ;
À quatre pattes, monstre ! et nous portons le sceau
Du malheur, et l’infâme artère carotide
Est mère de l’ours fauve et du pourceau fétide ;
La matière est fatale, au moins l’homme le dit ;
La roche est antre afin que le loup soit bandit,
Le renard, c’est le vol ; l’autour, c’est la rapine ;
L’hyène a l’ongle ainsi que la ronce à l’épine ;
Mais l’homme conscient et libre en son penchant,
L’homme, qui peut choisir, d’où vient qu’il est méchant ?
De quel droit êtes-vous des tigres, vous les hommes ?
Que nous nous comportions en brutes que nous sommes,
Soit ; mais vous, les esprits créés pour la clarté ?
Comment l’homme peut-il par une extrémité
Être Homère, et par l’autre être Héliogabale ?
Et je ne parle pas ici du cannibale,
Du cafre, du huron sinistre et paresseux,
Je parle des penseurs, des artistes, de ceux
Qui savent ce que c’est qu’une bibliothèque,
De l’ami de Ronsard, de l’ami de Sénèque,
De Rome, de Paris, faîte auguste, sommet,
Trône, où Néron chantait, où Charles neuf rimait !
Vous êtes donc mauvais pour le plaisir de l’être !
 
C’est votre vanité qui partout vous pénètre,
Et qui vous fait, tirant l’homme vers l’animal,
Entrer facilement dans les pores du mal.
 
Vanité ! tout chez vous est faux. L’or est du cuivre.
Chacun marche à côté du chemin qu’il croit suivre ;
Le soldat se croit maître, il est esclave, hélas,
Et ce qu’il nomme épée est souvent coutelas,
Et ce qu’il nomme gloire est toujours servitude ;
Le savant, qui d’Atlas imite l’attitude,
Ne sait pas ; l’ignorant n’ignore pas ; mettez
Deux autels côte à côte en vos noires cités,
Puis demandez à l’un des deux prêtres qui passe
Son avis sur le prêtre et le temple d’en face !
Le philosophe est grave, austère, froid, prudent,
Sublime, et de raison sévère débordant ;
Il ne veut pas qu’on aille et qu’on vive à sa guise,
Mais dans la sainteté du devoir il aiguise
Et fourbit les mortels à toutes les vertus ;
Ferme, il va redressant tous les instincts tortus ;
Ce qu’il dit est superbe, il excelle au dressage
De l’homme sans défaut ; mais lui-même est-il sage ?
Non ; et, législateur, il vit hors de la loi.
— Ô caillou, dit le fer, je coupe, grâce à toi,
Mais coupe donc toi-même un peu, je t’en défie. —
 
Qui vous met à nu trouve une maigreur bouffie,
Une difformité qui se masque et qui ment ;
La vertu, si jamais vous l’épousiez vraiment,
Vous quitterait bientôt pour cause de sévices ;
La fausse gloire germe et s’enfle sur vos vices,
Et cette fluxion n’est rien qu’un mal de plus.
 
L’homme dans son miroir se fait de grands saluts ;
Le miroir les lui rend, mais dans son âme obscure
Il rit, et sait le fond de l’homme, étant mercure ;
Pas d’orgueilleux qui n’ait honte secrètement ;
Pas de prude qui n’ait en rêve quelque amant ;
Ah ! si l’on s’en allait, pour voir plus que son buste,
Par quelque soupirail regarder dans un juste,
Comme il vous fermerait son volet brusquement !
Votre âme aime la nuit comme son élément ;
En public vous cherchez la louange et l’estime,
Mais vous n’hésitez pas dans votre for intime
À bâillonner et même à tuer le témoin,
Le scrupule caché qui tremble dans un coin ;
Votre probité plie et promptement expire ;
Le meilleur parmi vous est si proche du pire
Qu’entre eux, l’un étant saint et l’autre étant damné,
Ils n’ont pas l’épaisseur d’un cheveu de Phryné ;
Évêque, on veut sa dîme, et, bailli, ses épices ;
L’argent, le lit, la table, autant de précipices ;
Le vin est un écueil, la femme est un récif ;
La conscience, bas, à Salomon pensif
Disait plus de dix fois par jour : Vieille canaille !
L’expérience austère, ô Kant, est la trouvaille
Qu’on ramasse en sortant du vice ; on se flétrit,
On se forme ; chacun des sept péchés écrit
Une lettre du mot composite : Sagesse.
 
Votre philosophie admirable, au fond, qu’est-ce ?
Rébellion, alors qu’il faudrait méditer ;
Ou résignation, quand il faudrait lutter.
 
Et sur tous les sommets, trône, pavois, quadrige,
Oh ! comme vous avez aisément le vertige !
Quoique dauphin ou roi, ce jeune homme est charmant.
Il est né généreux, secourable, clément ;
Qu’un valet l’endoctrine, et c’est un mauvais prince.
Contre les courtisans votre rempart est mince !
Hélas, les hommes sont à ce point insensés
Que pour changer un d’eux en tyran, c’est assez
D’une bouche bavant une bave imbécile !
Ce chef-d’œuvre hideux, un despote, est facile ;
Quand Narcisse voulut un Néron, il le fit ;
Pour faire un Louis treize un Luynes suffit ;
Il ne faut pour cela qu’un peu de flatterie
Même par un crétin grossièrement pétrie ;
Pour tenter l’âme humaine et la précipiter,
Dom Escobar n’a pas besoin d’argumenter,
Ni Satan d’allonger sa caressante serre ;
Un corrupteur d’esprit n’est jamais nécessaire,
Et Jocrisse flatteur perdrait Socrate roi.
 
Et l’on me dit : Tu vas vénérer l’homme ! — En quoi ?
Mon vieux hi-han vaut bien ses quatre ou cinq diphtongues,
Et plus que ses vertus mes oreilles sont longues.
 
L’homme fait reculer l’heure sur le cadran,
Quitte la liberté pour reprendre un tyran,
Flatte un dieu, tue un loup, rampe et se met à rire.
Ô triste genre humain ! Veut-on pas que j’admire
Tout ce que dans toi-même, homme, tu dénigrais,
Ton faux goût, ton faux jour, tes faux pas, ton progrès
Pourvu d’un appareil à reculer, tes songes,
Tes sens ayant leur borne ainsi que des éponges,
Et tes opinions, tombant, se relevant,
Murmurant, parodie imbécile du vent !
 
Je vois l’homme à peu près tel qu’il est, presque bête,
Presque génie, ayant son gouffre dans sa tête.
 
Tu te peuples d’erreurs et tu reste désert.
Ta science te fait tes jougs. À quoi te sert
Ce don libérateur et divin, la pensée ?
 
Spartacus t’apparaît dans un thème au lycée,
Mais tu n’en conclus rien ; je l’ai dit, et c’est vrai,
Fouillez Mariana, Tacite, Mézeray,
L’homme est servile au point que l’histoire en est lasse ;
Depuis quatre mille ans et plus qu’il est en classe,
Et qu’on lui montre à lire avec un air profond,
Et que ses magisters, rentrés, repus, se font
Servir des bouillons chauds le soir par leurs phlipotes,
Il ne s’est pas encor délivré des despotes.
Ses docteurs vont disant pendant qu’il se débat ;
Peuple ! aime ton césar. Âne ! adore ton bât.
 
Ces docteurs ! quels marchands ! leur morale sévère,
Cela va se fêler, prends garde, c’est du verre.
La rencontre d’un roi coudoyant leur destin
Fait à leur probité rendre un son argentin.
Ah ! ces savants sans fond, ces hommes de logique,
Roidissant en plis secs leur simarre énergique,
Ces forts calculateurs, ces raisonneurs abstraits
De quelque idéal trouble adorant les attraits,
Chastes, prudes, glacés, rigides, implacables,
Ayant la majesté des cuistres impeccables,
Bonzes de la basoche ou du pays latin,
Qui marchent rengorgés dans leur menton hautain,
Et chez qui l’attitude escarpée est de mode,
Sois un tyran quelconque, un Phocas, un Commode,
Un Christiern, le premier Domitien venu,
Sois le diable d’enfer, fourchu, barbu, cornu,
C’est à vendre ; et tu peux acheter, si tu verses
Rondement un total suffisant de sesterces,
Piastres, louis, dollars, rixdallers, species,
La raison de Cuvier et l’âme de Sieyès !
Et quelle flatterie effroyable que celle
Qui sort de ce monceau de honte universelle !
Traverse-moi d’un bout à l’autre ce récit
Du passé que le deuil du présent obscurcit,
Va de l’A jusqu’au Z, va dans l’affreuse crypte
Du czar de Moscovie au pharaon d’Égypte ;
Pierre tue Alexis et Philippe Carlos ;
Sésostris fait du monde un funèbre champ clos ;
Timour court sur l’Asie ainsi qu’une avalanche ;
Soliman, vieux et chauve, aïeul à la barbe blanche,
Appelle ses enfants et joue au milieu d’eux,
Et le soir il les fait étrangler ; Sélim deux
Fait tirer le canon chaque fois qu’il est ivre ;
Osman, s’il voit un tigre en cage, le délivre ;
Irène, l’Isabeau du chaos byzantin,
Fait arracher les yeux à son fils Constantin
Dans la chambre où ce fils sortit de ses entrailles ;
Charles sept dort pendant que La Hire et Saintrailles
Tiennent Talbot, Chandos et Bedfort en arrêt,
Et que Jeanne à travers la fournaise apparaît,
Toute nue, au poteau tordant ses bras sublimes ;
Justinien, faiseur de codes et de crimes,
Amoncelle encor plus de forfaits que de lois ;
Tudor fait un pendant monstrueux à Valois ;
Louis quatorze, au nom du Christ qu’il dénature,
Couche la France aux fers sur le lit de torture ;
Léon dix se parjure, Albrecht fait un serment
Faux, et François premier triche, et Charles Quint ment ;
Eh bien ! tous sont cléments, grands, glorieux, illustres !
Le moindre a son autel entouré de balustres ;
Il n’est pas un d’entre eux qui ne soit le meilleur ;
Quand ils meurent la terre est folle de douleur ;
Celui-ci fut un dieu sur la machine ronde,
Cet autre fit pâlir la lumière du monde
Le jour où du milieu des vivants il sortit ;
Ô honte ! on trouvera toujours, grand ou petit,
Un homme pour verser ces pleurs de crocodile ;
Ce sera Cantemir, si ce n’est Chalcondyle,
Si ce n’est Karamsin, ce sera Bossuet.
 
Je voudrais l’âne sourd ou bien l’homme muet.
 
Ô mon vieux Kant, la phrase est une grande fourbe,
On croit qu’elle se dresse alors qu’elle se courbe
Tant la coquine met de pompe à s’aplatir.
Certes, le menu peuple est un saignant martyr ;
Certe, un champ de carnage est affreux ; Tyr en cendre
Pour le plaisir d’un fou qui s’appelle Alexandre,
C’est dur ; Rosbach, Fornoue et Pultawa fumants,
Et ces égorgements et ces éventrements,
C’est hideux ; ces canons dont les fauves gueulées
Font accourir le soir les vautours par volées,
C’est noir ; triste est la lutte et triste est le butin ;
La bataille, ce jeu de bagues du destin,
Dont la roue oscillante a des hasards sans nombre,
Où le vainqueur, tournant sur son destrier sombre,
Rit et remporte au bout de sa lance un zéro,
C’est atroce et niais ; Mars est un vieux bourreau ;
Si devant tous les morts qui, sur toute la terre,
Dans la plaine difforme et pâle de la guerre
Sont tombés, glaive au poing, depuis quatre mille ans,
Si devant ces monceaux de squelettes sanglants
Le sépulcre fait défiler un cortège,
Où le brigand serait à côté du stratège,
Ô Kant, les os blanchis dans ces champs de malheur
Trouveraient le héros ressemblant au voleur,
Et les fémurs brisés, les tibias, les crânes,
Ne distingueraient point César de Schinderhannes ;
Certes, les bons humains, quoique chargés de fers,
S’ils consultaient leurs cœurs ou simplement leurs nerfs,
Jetteraient les sabreurs bien vite à bas du trône,
Bellone recevrait une cartouche jaune,
Et l’on vivrait en paix dans les pauvres hameaux ;
Mais les laquais lettrés, les rhéteurs, les grands mots,
Se mettent à genoux devant ces saturnales ;
Suprême opprobre ! avec ces maximes banales :
— Que la guerre est un fait divin ; — qu’elle a ses lois ;
— Qu’il faut juger à part les actions des rois ; —
La phrase, cette altière et vile courtisane,
Dore le meurtre en grand, fourbit la pertuisane,
Protège les soudards contre le sens commun,
Persuade aux niais que tous sont faits pour un,
Prouve que la tuerie est glorieuse et bonne,
Déroute la logique et l’évidence, et donne
Un sauf-conduit au crime à travers la raison.
 
Toi l’homme, tu te mets vite au diapason ;
C’est toi qu’on trahit, toi qu’on fraude, toi qu’on livre ;
C’est ta chair qu’à César Shylock vend à la livre,
C’est ton sang dont Judas trafique, et c’est ta peau
Que Ganelon brocante, ô genre humain, troupeau !
Homme, la corde au cou le matin tu t’éveilles ;
Mais quoi ! par tes deux yeux et par mes deux oreilles,
C’est bien fait ! et, j’en prends à témoin le ciel bleu,
Les traîtres ont raison, car tu leur fais beau jeu.
Tes vices, tout d’abord, voilà les premiers traîtres ;
Ils te remettent pieds et poings liés aux maîtres ;
Au devant du joug vil, brutal, dur, inhumain,
Ta corruption fait les trois quarts du chemin ;
Doux au sergent de ville, aimable au garnisaire,
Lâche, entendant malice à ta propre misère,
Plat, tu clignes de l’œil même avec tes bourreaux.
Tu vas léchant la patte énorme des héros ;
Charles douze et Cortez t’enivrent ; tu te pâmes
Devant Cambyse errant dans les villes en flammes ;
Tu compares Cyrus et Clovis, mesurant
Ton admiration au sabre le plus grand ;
C’était aux bords du Var, ils étaient cinq cent mille,
Marius les tua ; que c’est beau ! Paul-Émile,
Pompée, Othon, Sylla, quels fiers centurions !
Quels soldats ! quels géants ! et sur tes horions
Ta main inepte écrit : Victoires et Conquêtes.
Nous n’en sommes pas là, nous autres ; pas si bêtes !
Et quant à moi, morbleu ! j’aurais bien du chagrin,
Étant Aliboron, d’admirer Isengrin.
 
Les hommes, — c’est ainsi, Dieu, que vous les créâtes, —
Sont les seules souris devant le chat béates,
Heureuses de servir au matou de hochet ;
L’homme est le seul mulot content de l’émouchet,
Le seul mouton bêlant des hymnes aux colères
Du tigre, et du lion contemplant les molaires,
Le seul poisson qui danse et sonne du grelot
Devant les triples rangs de dents du cachalot,
Le seul moineau, la seule alouette espiègle
Qui chante Te Deum dans la griffe de l’aigle.
 
Oui, c’est toujours, hélas, du côté des tueurs
Que ton enthousiasme a le plus de lueurs,
Et, stupide, tu dis : La bataille est gagnée !
Quand un boucher t’a fait une large saignée.
Mais voulusses-tu même, homme, te révolter,
Quelle conviction as-tu pour résister ?
Une religion, voilà le grand remède ;
L’âme est le point d’appui solide d’Archimède ;
La barricade est haute et fière, et le beffroi
Est fort, quand les pavés et les cloches ont foi ;
Pour vaincre, il fait avoir aux reins une croyance ;
Le glaive flamboyant sort de la conscience ;
Toi, jamais ton regard convaincu ne brilla ;
C’est vrai, quand ta servante et tes enfants sont là,
Ou ta femme en un coin raccommodant tes nippes,
Tu parles d’or, on voit tes vertus, tes principes,
Et tes perfections que rien ne fait broncher,
Dans tes graves discours à la file marcher
Comme aux processions on voit passer des châsses ;
Mais, dès que tu le peux, tu jettes tes échasses,
Tu descends plus gaîment que tu n’étais monté,
Et tu dis en soupant entre garçons : — Bonté,
C’est duperie ; amour, combien dure l’ivresse ?
Chasteté, j’aime mieux Margoton que Lucrèce ;
Dévouement, c’est niais, synonyme de grand ;
Vérité, c’est le pied trop court de Talleyrand ;
Justice, instinct sacré vers qui l’âme s’élance,
C’est une grande femme avec une balance
Sculptée en marbre blanc par monsieur Cartellier ;
Guerre, c’est la charrue avec un timbalier ;
Rien n’est bon pour le blé comme un grand capitaine ;
Un Wagram, un Rocroy, tombant sur une plaine,
Vaut le meilleur fumier ; la gloire est un engrais. —
 
Tu railles ce vaincu qu’on nomme le Progrès
Quand tu le vois lié par les hommes de proie ;
Et ce serait ta fête, et ce serait ta joie
Si tu pouvais, du fond de tes bouges obscurs,
Noircissant le ciel même et tous les rayons purs,
Toutes les vérités, toutes les certitudes,
Barbouiller la lumière avec tes turpitudes,
Et charbonner la face auguste du soleil.
 
Le flot tumultueux et souple est ton pareil ;
Il te prend par moments, comme un vent court sur l’herbe,
Des frissons, des élans de colère superbe,
De liberté, d’essor vers le jour, vers le bleu,
Vers le vrai, vers le beau, vers l’avenir, vers Dieu ;
Et tu passes ta vie ensuite à t’en dédire.
Rien est ton point d’appui, nihil ton point de mire ;
Ta science est un bloc informe de gravats ;
Conclusion : tu n’es qu’un drôle ; et je m’en vas.
 
Hommes, vous rendriez sceptique même un âne !
Vous descendez sur nous en neige, et non en manne ;
Vous refroidissez l’âme en ses tristes exils.
Dieu nous fit humbles, soit ; vous, vous nous faites vils ;
Poussière qu’on était, hélas : on devient boue.
L’homme par calcul chante ou pleure, blâme, loue,
Divinise, diffame, exagère, amoindrit.
Oui, la chauve-souris du doute en mon esprit
Ouvre hideusement sa livide membrane ;
Je sens en flots de nuit bouillonner sous mon crâne
L’encre qui dans les yeux goutte à goutte tomba.
Ce monde est un brelan. Le droit, le devoir, bah !
Laissez-moi donc tranquille avec tous ces mots vides !
Les hommes ont leur carte à jouer. Fous, avides,
Plutôt mauvais que bons, orageux, ténébreux,
Ils ont la haine au cœur et se mangent entre eux,
Tout en braillant : Honneur, fraternité, patrie !
Les principes sont là pour faire galerie ;
Et l’équité, le droit, la vertu, le devoir,
— S’ils existent pourtant, ce qu’il faudrait savoir, —
La probité, l’honneur, — ou ce qu’ainsi l’on nomme, —
Disent là-haut, raillant le pauvre effort de l’homme :
— Bien joué. Mal joué. Bravo, Machiavel !
Ah ! crétin de Bayard ! Malpole, very well ! —
 
Ô genre humain, un rien t’enfle, et te rapetisse.
Ah ! oui, pardieu ! vertu, morale, honneur, justice !
Qu’un grand forfait triomphe, on lui baise l’orteil.
Ta conscience bâille et tombe de sommeil,
La lueur du vrai tremble en sa terne prunelle,
Je te plains si tu n’as que cette sentinelle.
L’homme est guidé du faux au vrai, du blanc au noir,
Par le mot intérêt qu’il prononce devoir.
Toute action humaine est signée : Égoïste.
 
Je me résume, ô Kant, l’homme est triste. Il n’existe
Qu’un mérite ici-bas, c’est d’être riche ; il n’est
Qu’un esprit, et qui rend charmant le plus benêt,
C’est d’être riche ; il n’est, et ce siècle l’affiche,
Qu’une beauté, toujours, partout, c’est d’être riche ;
L’or ne connaît que l’or, et devant les lingots
Le vice et la vertu sont deux sombres égaux.
Voilà tout ce que sait la science.
 
                                                                La vie
Fait quelques pas tremblants vers le bien, puis dévie.
 
L’homme est un psaume, soit ; il est blasphème aussi ;
Son âme est une lyre au son peu réussi
Où l’honnête a sa corde, où l’injuste a sa fibre ;
Dans son pauvre esprit louche il tient en équilibre
Cauchon et Jeanne d’Arc, Socrate et Mélitus ;
Il complète le bien d’où sortent ses vertus,
Hélas, avec le mal d’où sortent ses fétiches ;
Ce vers faux a Satan et Dieu pour hémistiches.
 
Homme, entre nous et toi bien mince est la cloison,
Et l’aigle par devant et par derrière est oison.
Ta cervelle est de boue et ton cœur est de pierre.
Tes docteurs chats-huants détournent leur paupière
Au resplendissement du divin Hélios ;
Ils éclipsent avec un mur d’in-folios
Le ciel mystérieux d’où viennent les grands souffles ;
Qu’est-ce qu’ils font de toi, ces bonzes, ces maroufles,
Ces talapoins lettrés aux discours pluvieux ?
Un vieux toujours enfant, un enfant toujours vieux.
Ton groupe sépulcral d’écolâtres ineptes
Prêche, érige les morts en dogmes, en préceptes,
T’assourdit  d’un éloge infâme de la nuit,
Allume un suif et dit : C’est un astre qui luit !
Applaudit l’écrevisse et le crabe, et célèbre
Les reflux du présent dans le passé funèbre,
Si bien que tu ne sais, dans ton hébétement,
Si tu vois Demain poindre au bas du firmament
Ou d’Hier qui revient la noire silhouette,
Si c’est l’affreux hibou qui chante, ou l’alouette,
Et si le mouvement que tu fais en rêvant
Te ramène en arrière ou te pousse en avant.
Ta science te rend stupide, non sans peine.
Ô leurre ! la clef fausse ouvre la porte vaine ;
Ta pensée est une ombre où tu restes béant.
 
Oui, chez toi tout, hélas, arrive à du néant,
La chimère au calcul, le fait à l’hypothèse,
Ce qu’il faut qu’on proclame à ce qu’il faut qu’on taise,
Le silence à l’ennui, la parole au bâillon,
La pourpre d’Aspasie ou d’Auguste au haillon,
La vie au noir cercueil, la plume à l’écritoire,
Les chiffres au zéro, les lettres à la gloire,
Et le savant au prêtre et le prêtre au savant.
Qu’est-ce donc que tu mouds, réponds, moulin à vent ?
Ta sagesse te fait castrat et te mutile.
L’homme, c’est l’impuissant fécondant l’inutile.
 

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