Lautréamont(1846-1870) Les Chants de Maldoror(1869) Chant premier +Chant deuxième +Chant troisième +Chant quatrième ×С’еst un hоmmе оu unе piеrrе оu un аrbrе... Unе pоtеnсе s’élеvаit sur lе sоl... Jе suis sаlе. Lеs pоuх mе rоngеnt... Jе m’étаis еndоrmi sur lа fаlаisе... Ιl n’еst pаs impоssiblе d’êtrе témоin d’unе déviаtiоn аnоrmаlе... Chant cinquième +Chant sixième + |
LautréamontLes Chants de Maldoror, 1869 FIN DU TROISIÈME CHANTChant quatrième
C’est un homme ou une pierre ou un arbre qui va commencer le quatrième
chant. Quand le pied glisse sur une grenouille, l’on sent une sensation
de dégoût ; mais quand on effleure, à peine, le corps humain, avec la
main, la peau des doigts se fend, comme les écailles d’un bloc de mica
qu’on brise à coups de marteau ; et, de même que le cœur d’un requin,
mort depuis une heure, palpite encore, sur le pont, avec une vitalité
tenace, ainsi nos entrailles se remuent de fond en comble, longtemps
après l’attouchement. Tant l’homme inspire de l’horreur à son propre
semblable ! Peut-être que, lorsque j’avance cela, je me trompe ; mais,
peut-être qu’aussi je dis vrai. Je connais, je conçois une maladie plus
terrible que les yeux gonflés par les longues méditations sur le
caractère étrange de l’homme : mais, je la cherche encor... et je n’ai
pas pu la trouver ! Je ne me crois pas moins intelligent qu’un autre, et,
cependant, qui oserait affirmer que j’ai réussi dans mes investigations ?
Quel mensonge sortirait de sa bouche ! Le temple antique de Denderah est
situé à une heure et demie de la rive gauche du Nil. Aujourd’hui, des
phalanges innombrables de guêpes se sont emparées des rigoles et des
corniches. Elles voltigent autour des colonnes, comme les ondes épaisses
d’une chevelure noire. Seuls habitants du froid portique, ils gardent
l’entrée des vestibules, comme un droit héréditaire. Je compare le
bourdonnement de leurs ailes métalliques, au choc incessant des glaçons,
précipités les uns contre les autres, pendant la débâcle des mers
polaires. Mais, si je considère la conduite de celui auquel la
providence donna le trône sur cette terre, les trois ailerons de ma
douleur font entendre un plus grand murmure ! Quand une comète, pendant
la nuit, apparaît subitement dans une région du ciel, après quatre-vingts
ans d’absence, elle montre aux habitants terrestres et aux grillons sa
queue brillante et vaporeuse. Sans doute, elle n’a pas conscience de ce
long voyage ; il n’en est pas ainsi de moi : accoudé sur le chevet de mon
lit, pendant que les dentelures d’un horizon aride et morne s’élèvent en
vigueur sur le fond de mon âme, je m’absorbe dans les rêves de la
compassion et je rougis pour l’homme ! Coupé en deux par la bise, le
matelot, après avoir fait son quart de nuit, s’empresse de regagner son
hamac : pourquoi cette consolation ne m’est-elle pas offerte ? L’idée que
je suis tombé volontairement, aussi bas que mes semblables, et que j’ai
le droit moins qu’un autre de prononcer des plaintes, sur notre sort, qui
reste enchaîné à la croûte durcie d’une planète, et sur l’essence de notre
âme perverse, me pénètre comme un clou de forge. On a vu des explosions de
feu grisou anéantir des familles entières ; mais, elles connurent l’agonie
peu de temps, parce que la mort est presque subite, au milieu des décombres
et des gaz délétères : moi... j’existe toujours comme le basalte ! Au
milieu, comme au commencement de la vie, les anges se ressemblent à
eux-mêmes : n’y a-t-il pas longtemps que je ne me ressemble plus ! L’homme
et moi, claquemurés dans les limites de notre intelligence, comme souvent
un lac dans une ceinture d’îles de corail, au lieu d’unir nos forces
respectives pour nous défendre contre le hasard et l’infortune, nous
nous écartons, avec le tremblement de la haine, en prenant deux routes
opposées, comme si nous nous étions réciproquement blessés avec la
pointe d’une dague ! On dirait que l’un comprend le mépris qu’il inspire
à l’autre ; poussés par le mobile d’une dignité relative, nous nous
empressons de ne pas induire en erreur notre adversaire ; chacun reste
de son côté et n’ignore pas que la paix proclamée serait impossible à
conserver. Eh bien, soit ! que ma guerre contre l’homme s’éternise,
puisque chacun reconnaît dans l’autre sa propre dégradation... puisque
les deux sont ennemis mortels. Que je doive remporter une victoire
désastreuse ou succomber, le combat sera beau : moi, seul, contre
l’humanité. Je ne me servirai pas d’armes construites avec le bois ou
le fer ; je repousserai du pied les couches de minéraux extraites de la
terre : la sonorité puissante et séraphique de la harpe deviendra, sous
mes doigts, un talisman redoutable. Dans plus d’une embuscade, l’homme,
ce singe sublime, a déjà percé ma poitrine de sa lance de porphyre : un
soldat ne montre pas ses blessures, pour si glorieuses qu’elles soient.
Cette guerre terrible jettera la douleur dans les deux partis : deux amis
qui cherchent obstinément à se détruire, quel drame !
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