Mon âme mille fois m’a prédit mon dommage :
Mais la sotte qu’elle est, après l’avoir prédit,
Maintenant s’en repent, maintenant s’en dédit,
Et voyant ma Maîtresse, elle aime davantage.
Si l’âme, si l’esprit, qui sont de Dieu l’ouvrage,
Deviennent amoureux, à grand tort on médit
Du corps qui suit les sens, non brutal, comme on dit,
S’il se trouve ébloui des rais d’un beau visage.
Le corps ne languirait d’un amoureux souci,
Si l’âme, si l’esprit ne le voulaient ainsi.
Mais du premier assaut l’âme se tient rendue,
Conseillant, comme Reine, au corps d’en faire autant.
Ainsi le Citoyen trahi du combattant,
Se rend aux ennemis, quand la ville est perdue.
De ministres ce roi se prive sans dommage,
Il gouverne tout seul, car c’est un vieux bandit ;
Mais tu peux observer que nul ne le maudit,
Car aucun vil forfait n’a terni son image.
Le peuple ne va pas jusqu’à lui rendre hommage,
Ce recoin du Cosmos n’est pas un paradis ;
La boue couvre les sols et baigne les taudis,
Les troquets sont fermés, les gens sont au chômage.
Ils chantent cependant, malgré tous leurs soucis,
Ne pouvant s’attrister, car leur âme est ainsi ;
Ils vont vers le bonheur par une route ardue.
Certains jours j’aimerais pouvoir en faire autant,
Je suis contre les maux un piètre combattant ;
Je fais quelques efforts, mais c’est peine perdue.