Baudelaire

Les Fleurs du Mal, 1857


Le Crépuscule du Soir


 
Voici le soir charmant, ami du criminel ;
Il vient comme un complice, à pas de loup ; le ciel
Se ferme lentement comme une grande alcôve,
Et l’homme impatient se change en bête fauve.
 
Ô soir, aimable soir, désiré par celui
Dont les bras, sans mentir, peuvent dire : Aujourd’hui
Nous avons travaillé ! — C’est le soir qui soulage
Les esprits que dévore une douleur sauvage,
Le savant obstiné dont le front s’alourdit,
Et l’ouvrier courbé qui regagne son lit.
Cependant des démons malsains dans l’atmosphère
S’éveillent lourdement, comme des gens d’affaire,
Et cognent en volant les volets et l’auvent.
À travers les lueurs que tourmente le vent
La Prostitution s’allume dans les rues ;
Comme une fourmilière elle ouvre ses issues ;
Partout elle se fraye un occulte chemin,
Ainsi que l’ennemi qui tente un coup de main ;
Elle remue au sein de la cité de fange
Comme un ver qui dérobe à l’Homme ce qu’il mange.
On entend çà et là les cuisines siffler,
Les théâtres glapir, les orchestres ronfler ;
Les tables d’hôte, dont le jeu fait les délices,
S’emplissent de catins et d’escrocs, leurs complices,
Et les voleurs, qui n’ont ni trêve ni merci,
Vont bientôt commencer leur travail, eux aussi,
Et forcer doucement les portes et les caisses
Pour vivre quelques jours et vêtir leurs maîtresses.
 
Recueille-toi, mon âme, en ce grave moment,
Et ferme ton oreille à ce rugissement.
C’est l’heure où les douleurs des malades s’aigrissent !
La sombre Nuit les prend à la gorge ; ils finissent
Leur destinée et vont vers le gouffre commun ;
L’hôpital se remplit de leurs soupirs. — Plus d’un
Ne viendra plus chercher la soupe parfumée,
Au coin du feu, le soir, auprès d’une âme aimée.
 
Encore la plupart n’ont-ils jamais connu
La douceur du foyer et n’ont jamais vécu !
 

Commentaire (s)
Déposé par Cochonfucius le 15 août 2016 à 18h17

Atelier d’Héphaïstos
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Travail d’Héphaïstos, labeur obsessionnel,
Il forge des trésors, sans jamais voir le ciel,
Dans son noir atelier, comme dans une alcôve,
Sous le brûlant regard des grandes flammes fauves.

De tous les Immortels, ce brave homme est celui
Qui plus souvent travaille, hier comme aujourd’hui ;
C’est pesante corvée, dont rien ne le soulage,
Mais qui le met souvent dans une joie sauvage.

Marteleur obstiné dont le front s’alourdit,
Et qu’Aphrodite, en vain, attendra dans son lit,
De la pesante forge il goûte l’atmosphère,
Mais ce vieil artisan n’est pas homme d’affaires.

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