Cent fois plus qu’à louer on se plaît à médire :
Pour ce qu’en médisant on dit la vérité,
Et louant, la faveur, ou bien l’autorité,
Contre ce qu’on en croit, fait bien souvent écrire.
Qu’il soit vrai, pris-tu onc tel plaisir d’ouïr lire
Les louanges d’un prince ou de quelque cité,
Qu’ouïr un Marc Antoine à mordre exercité
Dire cent mille mots qui font mourir de rire ?
S’il est donques permis, sans offense d’aucun,
Des mœurs de notre temps deviser en commun,
Quiconque me lira m’estime fol ou sage :
Mais je crois qu’aujourd’hui tel pour sage est tenu,
Qui ne serait rien moins que pour tel reconnu,
Qui lui aurait ôté le masque du visage.
Les Regrets, 1558
Commentaire (s)
Déposé par Cochonfucius le 24 septembre 2013 à 10h04
Moi, j’aimerais ne plus jamais écrire en prose,
Ne plus rien raconter sur tout ce qui est gris,
Ne jamais mentionner ce qu’il y a de pourri :
Que sur rime et beauté mes productions reposent.
Que mon vers soit musique et soit un cri de joie,
Que mes quatrains dansants expriment mes désirs,
Et qu’ils soient traversés des aimables zéphyrs,
Beaux comme s’ils étaient anges vêtus de soie.
Que mon oeuvre montant comme une cathédrale
Porte l’argent et l’or pour orner son sommet,
Et que son fier élan ne s’arrête jamais,
Rythmé par des pensées nobles et magistrales.
Ainsi près du comptoir déclamait un buveur
Dont les vers n’étaient point la moindre turpitude.
Chaque jour d’en écrire il avait l’habitude,
Etant un inutile et nébuleux rêveur.
Un compagnon lui dit : « Mais, ton oeuvre est débile,
Tu ne sais pas chanter ni faire des chansons,
Tes récits prennent fin, tous, en queue de poisson,
C’est dur à écouter, ton discours malhabile. »
Du poète la voix quelque peu retomba :
« Je ne suis pas très fort, je m’en suis rendu compte,
Je fais ce que je peux et je n’en ai pas honte,
Car je ne vois pas quoi faire d’autre, ici-bas. »