Gordes, je saurais bien faire un conte à la table,
Et s’il était besoin, contrefaire le sourd :
J’en saurais bien donner, et faire à quelque lourd
Le vrai ressembler faux et le faux véritable.
Je me saurais bien rendre à chacun accointable,
Et façonner mes mœurs aux mœurs du temps qui court :
Je saurais bien prêter (comme on dit à la Cour)
Auprès d’un grand seigneur quelque œuvre charitable.
Je saurais bien encor, pour me mettre en avant,
Vendre de la fumée à quelque poursuivant,
Et pour être employé en quelque bonne affaire,
Me feindre plus rusé cent fois que je ne suis :
Mais ne le voulant point, Gordes, je ne le puis
Et si ne blâme point ceux qui le savent faire !
Je ne suis pas du bois dont vous faites vos tables ;
À mon insoumission, les dieux ne sont pas sourds.
Jamais le bûcheron, s’approchant d’un pas lourd,
Ne saura m’inspirer de crainte véritable.
Or, je méprise aussi le castor redoutable :
S’il s’approche de moi, il fait un demi-tour
Et bien rapidement, vers sa rivière il court ;
Je ne le poursuis pas, car je suis charitable.
L’humain me dit souvent que c’était mieux avant,
Lui qui va maintenant chimères poursuivant ;
Puis, il est obligé de gérer ses affaires.
Primate moins rusé cent fois que je ne suis,
Je l’écoute parfois ; l’aider, je ne le puis,
Car mon cousin le fit, mais ce fut mortifère.