Maudit soit mille fois le Borgne de Libye,
Qui, le cœur des rochers perçant de part en part,
Des Alpes renversa le naturel rempart,
Pour ouvrir le chemin de France en Italie.
Mars n’eût empoisonné d’une éternelle envie
Le cœur de l’espagnol et du français soudard,
Et tant de gens de bien ne seraient en hasard
De venir perdre ici et l’honneur et la vie.
Le Français corrompu par le vice étranger
Sa langue et son habit n’eût appris à changer,
Il n’eût changé ses mœurs en une autre nature.
Il n’eût point éprouvé le mal qui fait peler,
Il n’eût fait de son nom la vérole appeler,
Et n’eût fait si souvent d’un buffle sa monture.
-- Compère ambicheval, que fais-tu dans la vie?
-- Je vais et je reviens, j’arrive et je repars ;
J’aime à la fin du jour flâner sous les remparts,
Par nul homme n’étant ma journée asservie.
Souvent chante un oiseau pour mon âme ravie,
Parfois aussi me parle un ivrogne bavard;
Car de tels citoyens hantent les boulevards,
Dont par maints taverniers est la soif assouvie.
Des affaires du temps, rien ne m’est étranger,
Je vois durer le monde et je le vois changer;
Ainsi j’ai découvert les lois de la nature.
L’ivrogne est endormi, l’oiseau s’est envolé,
Je rejoins l’écurie au loin, sans m’affoler ;
Si tu veux chevaucher, cherche une autre monture.