Si tu ne sais, Morel, ce que je fais ici,
Je ne fais pas l’amour ni autre tel ouvrage :
Je courtise mon maître, et si fais davantage,
Ayant de sa maison le principal souci.
Mon Dieu (ce diras-tu), quel miracle est-ce ci,
Que de voir Du Bellay se mêler du ménage
Et composer des vers en un autre langage ?
Les loups et les agneaux s’accordent tout ainsi.
Voilà que c’est, Morel : la douce poésie
M’accompagne partout, sans qu’autre fantaisie
En si plaisant labeur me puisse rendre oisif.
Mais tu me répondras : Donne, si tu es sage,
De bonne heure congé au cheval qui est d’âge,
De peur qu’il ne s’empire et devienne poussif.
Fruits exotiques de gueules
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Tels fruits, dit le serpent, ne poussent pas ici ;
De l’auteur du Jardin, ils ne sont pas l’ouvrage.
La graine vint de loin, je n’en dis davantage,
À mes frères humains j’épargne un tel souci.
Adam lui répondit : «Quel miracle est ceci ?
Serpent, tu as déjà troublé notre ménage,
Devons-nous à nouveau croire ton beau langage ?
N’en as-tu pas assez de nous tromper ainsi ?»
Mes mots, dit le serpent, ne sont que poésie,
Tout ce que je vous dis vient de ma fantaisie,
C’est l’humble passe-temps d’un animal oisif.
Adam ne sait que croire. «Es-tu devenu sage,
Serais-tu bienveillant par respect pour notre âge ?»
Puis il ne dit plus rien, notre ancêtre pensif.