Les ans & la jeunesse
On voit couler sans cesse,
Comme l’eau qui s’enfuit ;
L’eau revient & retourne :
Mais notre âge séjourne
Dans l’éternelle nuit.
 
Ni larme ni prière
N’émeuvent la mort fière,
Ni le nocher Caron :
Le pauvre & le Monarque,
Dans une même barque,
Traversent l’Achéron.
 
Sarpedon & Troïle
Sont morts devant leur ville,
Et autres infinis,
Que la terre Troyenne,
Leur mère Phrygienne,
Avait conçus jadis.
 
Ceux-là que le Ciel même
Aimait d’amour extrême,
Tout glorieux, n’ont pas,
Ô course trop subite !
Non plus que fit Therfite,
Évité le trépas,
 
Delbene, tu t’abuse.
Penses-tu que la Muse,
Qui t’a donné pouvoir
D’éterniser ta gloire,
T’empêche d’aller boire
Au fond de l’orque noir ?
 
Non, non, tu iras boire
Là-bas cette onde noire,
Qui dort au lac affreux
Et tombant, légère ombre,
Tu accroîtras le nombre
Des esprits malheureux.
 
Doncques point ne t’étonne
Si la Parque félonne
A mis de Thou à bas ;
De Thou dont la science
Montre bien à la France,
Que mort il ne meurt pas.