Georges Chennevière


Hiver


 
Tout l’été s’est passé sans que j’aie pu sourire.
L’été, c’était hier ; mais hier a vieilli,
Hier est vieux, puisque je m’en souviens déjà.
Voici l’hiver, les longues nuits dont j’ai si peur,
Sachant que mon sommeil ne leur suffira pas.
Afin d’être moins seul, je me force à sentir
L’odeur du bois trop vert et de la mauvaise herbe
Qu’on brûle quelque part dans des villages bas,
Où des sabots mouillés sonnent la fin du jour.
Les trains sifflent aussi, mais la fenêtre est close.
Trop lourde désormais pour se mêler au monde,
Mon âme s’est tassée ici, loin de la porte,
Et devient étrangère à tout, malgré l’amour
Qui s’enfle dans ma gorge et qui voudrait crier.
Personne ne saura que je souffre, pas même
L’ombre qui me tourmente et demeure aux écoutes.
Oh ! ma jeunesse hors de moi ! tu n’es plus faite
Que d’éclats dispersés et d’objets disparates
Qui n’ont plus d’âme à force de changer de place :
Un filet d’or presque effacé sur un fauteuil,
Un carnet, d’autres choses encor.... les dépouilles
D’un souverain déchu qui erre en son palais.
Mais taisons-nous, et plus de ces lâches regards !
La nuit vient vite : il faut que ma seule présence
Soit le flambeau secret où dure la lumière
Et que mon cœur me serve à prolonger l’été.
Je me suffis avec plus d’orgueil que de joie,
Car si la plaine manque à ma joie étouffée,
Il reste la hauteur à mon orgueil debout.
Prêt à l’hiver, voici que je l’attends sans lampe,
Afin de mieux le voir quand il viendra régner
Sur l’espace vacant dont j’ai fait un désert,
En repliant autour de moi, comme une armée,
Mon âme qu’entretient le cri de ma misère
Et que rien ne pourra surprendre, ni le froid
Qui attaque de biais, ni le vent qui murmure
Comme un peuple affamé, prisonnier de la rue,
Ni la tempête qui enfonce entre les murs,
Comme un coin dans du bois, ses membres ; ni surtout
L’ennui familier qui grimpe à mes genoux,
Et la douleur qui me sourit, en robe simple ; —
Car je vois, à travers ces cloisons illusoires,
De petits corps coagulés au creux des lits,
Autour des tables, sur les chaises ; j’accompagne,
Le long des murs d’un cimetière ou d’un hospice,
Dans une rue humide et que le soir fait borgne,
Des pas que tire à soi une lumière humaine ;
Je sais enfin que si j’entrais dans cette chambre,
Dont un bras tout à l’heure écartait les rideaux,
Et où, malgré la nuit, nulle lueur ne veille,
Mes yeux, sans tâtonner, pourraient apercevoir,
Dans l’angle le plus sombre et le plus reculé,
Sourd au monde, immobile et retenant son souffle,
Un couple furieux qui s’aime sans parler.
 

Poèmes, 1911-1918, 1920

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Photo d'après : Hans Stieglitz