Paul Claudel


Vers la montagne

Sortant pieds nus sous la vérandah, je regarde vers la gauche : au front du mont, parmi les nues bouleversées, une touche de phosphore indique l’aube. Le mouvement des lampes par la maison, le manger dans l’ensommeillé et gourd, les paquets que l’on arrime : en route. Par la côte roide nous plongeons dans le faubourg indigène.

C’est l’heure indécise où les villes se réveillent. Déjà les cuisiniers de plein vent allument le feu sous les poêles : déjà au fond de quelques boutiques un vacillant lumignon éclaire des membres nus. Malgré les planches garnies de pointes qu’on a posées à plat sur les devantures, en suspens sur les corniches, rapetassés dans les encoignures, à toutes les places libres, des gens gisent et dorment. L’un, à demi réveillé, se grattant le côté du ventre, nous regarde d’un œil vide et bée d’un air de délice ; l’autre dort si serré qu’on dirait qu’il colle à la pierre. Quelqu’un, la jambe de son pantalon retroussée jusqu’à la hanche et montrant le vésicatoire qu’il porte fixé par une feuille sur le plat de la fesse, pisse contre son mur près de sa porte ouverte ; une vieille qui a l’air vêtue de ces peaux qui se forment sur les eaux croupies peigne à deux mains son crâne galeux. Et enfin je me rappellerai ce mendiant à tête de cannibale, la touffe sauvage de la chevelure hérissée comme un buisson noir, qui, dressant droit un genou sec, gisait à plat sous le petit jour.

Rien de plus étrange qu’une ville à cette heure que l’on dort. Ces rues semblent des allées de nécropoles, ces demeures aussi abritent le sommeil, et tout, du fait de sa fermeture, me paraît solennel et monumental. Cette singulière modification qui paraît sur le visage des morts, chacun la subit dans le sommeil où il est enseveli. Comme un petit enfant aux yeux sans prunelles qui gémit et pétrit d’une faible main la gorge de sa nourrice, l’homme qui dort avec un grand soupir remord à la terre profonde. Tout est silencieux, car c’est l’heure où la terre donne à boire et nul de ses enfants en vain ne s’est repris à son sein libéral ; le pauvre et le riche, l’enfant et le vieillard, le juste et le coupable, et le juge avec le prisonnier, et l’homme comme les animaux, tous ensemble, comme de petits frères, ils boivent ! Tout est mystère, car voici l’heure où l’homme communique avec sa mère. Le dormeur dort et ne peut se réveiller, il tient au pis et ne lâche point prise, cette gorgée encore est à lui.

La rue sent toujours son odeur de crasse et de cheveu.

Cependant les maisons deviennent plus rares. L’on rencontre des groupes de banyans, et dans l’étang qu’ils ombragent un gros buffle dont on ne voit que l’échiné et la tête coiffée du croissant démesuré des cornes dirige sur nous ses yeux avec stupeur. Nous longeons les files de femmes qui vont aux champs ; quand l’une rit, son rire se propage en s’affaiblissant sur les quatre faces qui la suivent et s’efface à la cinquième. À l’heure où le premier trait du soleil traverse l’air virginal, nous gagnons l’étendue vaste et vide, et laissant derrière nous un chemin tortueux, nous nous dirigeons vers la montagne à travers les champs de riz, de tabac, de haricots, de citrouilles, de concombres et de cannes à sucre.


Connaissance de l'Est, 1907

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