Arthur Cravan

(1887-1918)

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Arthur Cravan

in Maintenant n° 2, 1913


Des Paroles


 
    La vie n’est pas du tout ce que vous pouvez croire
Un ouvrage très simple où tout a son histoire.
    Elle est bien plus que sa mêlée et tout s’y voit
Et le mal et le bien sujets des mêmes lois.
    Chaque heure a sa couleur qui pour jamais s’efface
Sans plus que cet oiseau laisser d’elle une trace
Le souvenir en vain voudrait de ses couleurs
Réunir en un bouquet les diverses odeurs
Le souvenir ne peut que remuer des cendres
Lorsque dans le passé il espère descendre.
    Ne pensez pas qu’un jour il vous sera permis
De vous dire « je suis de moi-même l’ami »,
Et de faire avec vous la paix définitive
Vous resterez livrés à vos alternatives
Quand vous verrez demain vous méconnaîtrez hier
Vous vous renierez avant qu’il fasse clair.
    Les jours défunts tendront devers vous leurs images
Pour que vous y lisiez vos anciens outrages
Et ceux de l’avenir troubleront de leurs plaintes
Les beautés que pour vous le soir dolent a peintes.
    En voulant rassembler autour de votre cœur
Les sentiments épars dans les prés du malheur
Vous serez le berger sans son chien qui l’assiste
Vous ne saurez pas plus pourquoi vous êtes triste
Que vous ne saurez l’heure où naquit votre ennui.
    Las de chercher le jour, vous goûterez la nuit
Elle vous nourrira de ses vergers obscurs
Les arbres de la nuit ont des conseils plus sûrs
Que l’arbre de la Science où s’apprit le péché
Et que du sol maudit vous n’avez arraché.
    Quand vous verrez pâlir vos plus pénibles peines
Que vous respirerez de l’automne l’haleine
L’hiver viendra frapper de son puissant marteau
Vos précieux moments, les répandre en morceaux.
    Il vous faudra toujours vous levez de vos sièges
Gagnez d’autres chagrins, vous prendre à d’autres pièges.
    Les saisons tourneront dans leur cours embaumé
Solaire ou dévasté vous vous parfumerez
À leur passage tiède et vous ne saurez dire
Si vous avez souffert ou joui de sentir.
    Alors même que tout pour vous sera perdu
Il vous faudra reprendre un voyage éperdu
Vous avez tout quitté mais restez éligibles
Et solitairement sans plus rien qui ne brille
Il vous faut acquérir le pain quotidien
D’une existence dont il ne vous faut plus rien.
    On vous fera du mal vous voudrez vous défendre
Car vous ne saurez pas que vous devez dépendre
Des autres qui de vous sont indignes autant
Que vous l’êtes de Dieu et quand viendra le temps
De déposer vos maux vous serez insensibles
Car leurs fardeaux avaient cessé d’être pénibles.
    Que vous alliez par champ par ville ou par les mers
Vous garderez toujours des soucis les plus chers
Un grand soin il vous faut songer à votre vie
Au lieu de la vivre ainsi qu’une partie
Où le meilleur joueur est celui qui s’oublie
Et cessant de se voir voit ce qui le convie.
    Quand désormais lassé de vouloir contempler
Le parcours sinueux de vos jours étalés
Vous voudrez regagner les lieux de vos étables
Vous ne trouverez plus qu’une odeur détestable
Vos coursiers auront fui sous d’autres cavaliers
Pour les pays perdus des automnes rouillés.
    Comme une rose ardente au soleil de septembre
Vous sentirez vos chairs s’affaisser de vos membres
De vous il restera moins qu’un rosier taillé
Et que le printemps guette afin de l’habiller.
    Si vous voulez aimer, vous ne saurez qui prendre
Afin que d’être aimé il y puisse prétendre ;
Il vous sera plus court de ne point désirer
Que vos cœurs tourmentés ils soient accaparés
    Quand le soir tombera sur vos chemins déserts
Vous n’aurez pas de crainte et direz « de quoi sert
De se faire souci advienne ce que veuille
Qu’ainsi qu’un fruit le temps mes actions les cueille. »
    Vous voudrez retrancher de vous certaines parts
Que vous désapprouvez voudrez faire la part
De ceci de cela donner à l’un carrière
L’autre le consigner avec une barrière
Cet autre révolté deviendra monstre armé.
    Laissez-vous donc aimer tout ce que vous aimez
Acceptez-vous entier acceptez l’héritage
Dont vous êtes formés et transmis d’âge en âge
Jusqu’à votre entité. Restez mystérieux
Plutôt que d’être pur acceptez-vous nombreux.
    La vague héréditaire est plus que vous puissante
Ainsi que sur le sein reposant d’une amante
Par elle laissez-vous porter jusqu’aux confins
Où l’être s’abolit et renonce à ses fins.
    Il faut que tout en vous vive et se multiplie
Qu’importe la moisson et les épies qu’on lie
Vous êtes la moisson et non le moissonneur
Et de votre domaine un autre est laboureur.
    Quand vous verrez partir de votre adolescence
Tous les rêves déchus issus de votre enfance
Virginale élancée auprès des frais jasmins
Une fille adorable assemblant de ses mains
Le bouquet de l’amour sera dans vos mémoires
La dernière vision et la dernière histoire.
    Dès lors il vous faut vivre avec la chair en rut
La maudite passion fait retentir son luth
Au carrefour charmant dont le beau jour s’incline
Ainsi que dans la plaine expire la colline.
    La tacite beauté des espaces sacrés
Sera pour vous troublée et jamais vous n’aurez
Désormais cette paix que le cœur pieux donne
À l’âme sa sœur tendre en laquelle il résonne
L’inquiétude aura remis tout en question
Et vous serez sujets aux plus folles actions.
    Et que tout se flétrisse au bord de nos journées !
Nul dieu n’en vient rêver de notre destinée.
    Les jours s’en vont et seul l’ennui ne s’en va pas
On dirait un chemin qui s’enfuit sous nos pas,
Dont l’horizon se change alors qu’à notre marche
Demeure la poussière ou la boue qui s’attachent.
    On a beau dire et faire agir et puis penser
On est le prisonnier de ce monde insensé.
    Les mols enchantements des premières années
Sont engrangés par l’expérience accréditée
Nos plus beaux souvenirs se changent en poison
L’oubli le pur oubli reste seul de saison.
    Quand près d’une fenêtre aborde la soirée,
Qui donc peut recevoir cette voile inclinée
Sans regretter le jour qui la porte en ses eaux
Qu’il fusse fait de joie ou comblé par les maux
Nous attachant à l’une et déplorant les autres
Regrettant les départs de tout ce qui fut nôtre
Et regrettant du jour tout ce qui l’a taché.
    Qui que tu sois ô homme à ne te point fâcher
De tout ce qui t’advient as-tu donc su l’apprendre
Quand tu touches enfin au moment de t’étendre
Comme un chacal puant le remords ne vient-il
Dévorer ton repos de son museau subtil
    ... Quelque chose de doux, quelque chose de triste
Aux flancs des midis blêmes et réalistes
Vient tenir à notre âme un langage infini
Le rideau se soulève au vent d’après-midi
Et la journée s’effeuille avant que de s’éteindre
Et sa maturité semble déjà se plaindre
Au bord des couchants roux du vase approfondi
Qui doucement se creuse et lentement grandit.
 

Édouard Archinard

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Photo d'après : Hans Stieglitz