Marceline Desbordes-Valmore


À mon fils, après l’avoir conduit au collège


 
Dire qu’il faut ainsi se déchirer soi-même.
Leur porter son enfant, seule vie où l’on s’aime,
Seul miroir de ce temps où les yeux sont pleins d’or,
Où le ciel est en nous sans un nuage encor;
Son enfant ! dont la voix nouvelle et reconnue,
Nous dit : « Je suis ta voix fraîchement revenue. »
Son enfant! Ce portrait, cette âme, celte voix,
Qui passe devant nous comme on fut une fois;
Quand on pense qu’il faut s’en détacher vivante.
Lui choisir une cage inconnue et savante.
Le conduire à la porte et dire : « Le voilà !
Prenez, moi je m’en vais... » — C’est Dieu qui veut cela !
 
Croyez-vous? Dieu veut donc que noyée en ma peine
Comme cette Madone assise à la fontaine,
Cachée en un vieux saule aux longs cheveux mouillés,
Ne pouvant plus mouvoir mes pieds las et souillés,
Je pleure, et d’un sanglot croyant troubler le monde.
J’appelle mon enfant pour que Dieu me réponde!
Mais la porte est déjà fermée à mon malheur,
Et tout dit à la femme : « Allez à la douleur ! »
 
J’y vais. Je n’ai rien dit, j’ai salué les maîtres ;
De la grande maison j’ai compté les fenêtres,
Parcouru le jardin sans verdure, sans fleurs.
Oui, c’est bien vrai, l’hiver est la saison des pleurs.
Les miens n’ont pas coulé de mon cœur gros d’alarme ;
J’ai vu partir mon fils sans verser une larme.
Il pâlissait, le pauvre, en me voyant partir !
Je souriais pourtant, j’essayais de mentir.
Dieu ! folle d’un chagrin que rien ne peut décrire,
Pour endurcir son cœur j’essayais de sourire !
Mais aux frissons épars dans mes membres tremblants,
J’ai senti que j’aurai bientôt des cheveux blancs.
Va ! je les aimerai. J’aimais ceux de ma mère.
Jeune encore, ils disaient son lot tendre et sévère,
Ses longs cheveux cendrés que je baisais toujours
Sans savoir que ce fût le livre de ses jours.
Tu baiseras les miens si l’amour me les donne.
Si tu sais où j’ai pris celte grave couronne,
Quand tu vivrais cent ans tu l’en ressouviendras,
Et par delà mes jours, toi, tu les béniras.
 
L’avait-il pressenti quand furtif, hors d’haleine,
Comme un agneau cherchant sa mère dans la plaine,
Il franchit sans frayeur un vieux mur entrouvert
Et bondit, pour m’atteindre, au sentier découvert,
(Tandis que le collège assoupi dans l’étude
L’avait laissé se battre avec la solitude)
Quand ses bras étendus revolèrenl vers moi,
Et qu’il cria : « Je veux m’en aller avec toi ! »
 
Mais à peine arrivé jusqu’à l’eau du rivage,
Qu’ils sont vite accourus l’ôter à mon courage !
Car ils m’ont dit : « Courage ! » en m’arrachant sa main.
Et, sans savoir par où, j’ai repris mon chemin.
 
Quand on dira toujours que je suis trop heureuse ;
Qu’il aura de l’esprit; que l’école est nombreuse ;
Que les enfants sont fiers d’y grandir loin de nous ;
Que je devrais bénir mon sort à deux genoux ;...
Ah! j’y suis, à genoux, car l’angoisse est divine,
Et femme, je murmure, et mère, je m’incline.
Hélas, pour être mère on promet d’obéir,
Et mère on n’obéit qu’au risque de mourir !
 
Vous, du moins, Vierge blanche, immobile et soumise,
Et seule, au bord de l’eau pensivement assise.
Les mains sur voire cœur, et vos yeux sur mes yeux,
Parlez-moi, Vierge mère, oh! parlez-moi des cieux !
Parlez ! vous qui voyez tout ce que j’ai dans l’âme :
Vous en avez pitié puisque vous êtes femme.
Cet amour des amours qui m’isole en ce lieu,
Ce fut le vôtre; eh bien, parlez-en donc à Dieu !
Sans reproche, sans bruit, douce reine des mères,
Cachez dans vos pardons mes révoltes amères ;
Couvrez-moi de silence, et relevez mon front
Baissé sous le chagrin comme sous un affront.
 
Voilà ce qui s’est fait par un jour de Décembre,
Mois sans soleil. Voilà ce que dans cette chambre
Où je n’entends gronder et gémir que mon cœur,
Devant l’heure qui vient et passe avec lenteur,
Je retrace de lui pour m’aider à l’attendre,
Jusqu’au jour, jour de vie! où je pourrai l’entendre.
Devant mon jeune maître alors je me tairai :
Il parlera... mais moi, je le regarderai !
 

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