À Dieu plaise,
Quelle allégresse,
À Dieu plaise qu’une négresse,
Une Malaise
De Bornéo,
L’accompagne chez sa maîtresse,
Chez sa maîtresse de piano :
Pour cela seul on suivrait un cours de piano,
Pour y venir accompagnée d’une négresse !
 
Quand elle passe, quelle escorte !
Les gens chuchotent
Sur les portes ;
 
Les télégraphistes, vers elle,
Marmitons, porteurs de quenelles,
Accourent, cessant leurs querelles,
Parties de billes et de marelle ;
Pour la voir on presse le pas,
Et l’on s’interroge, on devine :
Son père est dans les consulats,
Ou dans l’infanterie de marine ?
 
Et les petites camarades,
Quelle jalousie, quel dépit,
À la voir arriver ainsi,
Et de quel œil elles la regardent,
Qui
N’ont qu’une bonne campagnarde,
Ou Champenoise, ou bien Picarde :
— Sortir avec une négresse, fi !
Singulier chaperon pour une jeune fille !
Elles sont sales, elles sentent l’huile, —
Notre cousin, qui est au Borda, nous l’a dit. —
 
Exquis dépit des petites camarades !...
 
Mais les servantes, en nombre moindre,
Viennent de l’Inde
Que de l’Indre,
Et plus nombreuses
De la Creuse
Que de l’Arabie heureuse.
 
Qu’au moins la bonne « représente »,
Qui doit sortir avec Mademoiselle,
Et qu’elle
N’ait pas trop l’air d’une laveuse de vaisselle ;
Qu’elle ait au moins une tenue décente.
 
La demoiselle y aura l’œil :
Ah ! les robes aux tons bizarres,
Criards,
Selon la mode de Tarare : —
Que cette fille n’est-elle en deuil ?... —
 
Et elle entreprend aussitôt
D’éduquer un goût trop
Rustaud ;
Elle lui donne ses petits cols,
Son chapeau
À plume couteau, —
En un mot,
C’est toute une école !
 
Pourquoi faut-il
Que cette fille
Ait une poitrine trop forte ?
Elle lui aurait fait user
Son petit corsage écossais,
Au lieu de l’affreux qu’elle porte.
 
Là-dessus qu’elle la prévienne :
Le prénom qu’elle a, Madeleine,
Est incommode pour le service ;
Trop rebondie pour que l’on puisse,
Beauceronne, l’appeler « Miss »,
 
Elle l’appellera « Fraülein ».