Théophile Gautier


Frisson


 

    Chauffons-nous, chauffons-nous bien.
BÉRANGER.


    Je déteste le monde et je vis dans mon cœur.
ULRIC GUTTINGUER.


Un brouillard épais noie
L’horizon où tournoie
Un nuage blafard,
Et le soleil s’efface,
Pâle comme la face
D’une vieille sans fard ;
 
La haute cheminée,
Sombre et chaperonnée
D’un tourbillon fumeux,
Comme un mât de navire,
De sa pointe déchire
Le bord du ciel brumeux ;
 
Sur un ton monotone
La bise hurle et tonne
Dans le corridor noir :
C’est l’hiver, c’est décembre,
Il faut garder la chambre
Du matin jusqu’au soir.
 
Les fleurs de la gelée
Sur la vitre étoilée
Courent en rameaux blancs,
Et mon chat qui grelotte
Se ramasse en pelote
Près des tisons croulants.
 
Moi, tout transi, je souffle,
À griller ma pantoufle,
À rougir mes chenets,
Mon feu qui se déploie
Et sur la plaque ondoie
En bleuâtres filets.
 
Adieu les promenades
Sous les fraîches arcades
Des verdoyants tilleuls,
À travers les prairies,
Les bruyères fleuries
Et les pâles glaïeuls ;
 
Parmi les plaines blondes
Où le vent roule en ondes
Le seigle déjà mûr,
Par les hautes futaies
Au long des jeunes haies
Et des ruisseaux d’azur !
 
Adieu les églantines
Et, moissons enfantines,
Les bleuets dans les blés,
Les vertes sauterelles
Et les pissenlits frêles
Sans cesse échevelés !
 
Adieu dans l’herbe haute
La grenouille qui saute,
Et sous le frais buisson
Le lézard qui regarde
La cigale criarde
Qui sonne sa chanson !
 
Adieu les demoiselles
Aux diaphanes ailes,
Aux minces corsets d’or,
Le papillon qui brille
Et que la jeune fille
Poursuit comme un trésor ;
 
Le soir dans la nacelle
Qui penche et qui chancelle
Au moindre souffle d’air,
Les courses d’une lieue
Sur l’immensité bleue
Du lac profond et clair ;
 
Et puis les danses molles
Et les caresses folles
Sur les prés de velours,
Lorsque la blanche lune
Au sein de la nuit brune
Jette ses demi-jours !
 
De longtemps l’hirondelle
Ne viendra, de son aile
Effleurant mes carreaux,
Battre la capucine
Dont la pourpre dessine
Un cadre à mes barreaux.
 
— Pour horizon la rue
Où la foule se rue
Avec ses mille cris ;
Pour soleil des lanternes,
Qui de leurs reflets ternes
Baignent les pavés gris ;
 
Pour musique la bise
Qui se plaint et se brise
Dans les arbres mouillés,
Les rauques girouettes
Qui font des pirouettes
Sur leurs axes rouillés.
 
Comment sortir ? les roues
S’enfoncent dans les boues
Presque jusqu’à l’essieu.
Du brouillard, de la pluie !
L’âme souffre et s’ennuie :
Quoi donc faire, mon Dieu ?
 
Nous aimer, ma charmante !
Jette là cette mante
Qui me cache ton cou,
Ta belle épaule blanche,
Ton corsage, ta hanche,
Ton sein dont je suis fou.
 
Sur mes genoux prends place,
Livre tes mains de glace
À mes baisers de feu,
Et laisse voir ta jambe
À la braise qui flambe,
Qui flambe rouge et bleu.
 
Vois donc le gaz qui danse
Et s’agite en cadence,
Aux fantasques chansons
Que fredonne la sève
Dans la bûche qui crève
Et retombe en tisons.
 
Mon bijou, mon idole,
Comme le temps s’envole
Lorsque l’on est ainsi !
La voix haute et profonde
Qu’au loin jette le monde
Ne parvient pas ici.
 
Nos deux âmes jumelles,
Ensemble ouvrant les ailes,
Planent dans l’infini,
Comme deux alouettes
Ou comme deux fauvettes
Oublieuses du nid.
 

Commentaire (s)

Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Jасоb : Lе Dépаrt

Βеrtrаnd : Μоn Βisаïеul

Ρоnсhоn : Lе Gigоt

Lа Fоntаinе : Lе Сhаrtiеr еmbоurbé

Jасоb : Silеnсе dаns lа nаturе

Βоilеаu : Sаtirе VΙΙΙ : «Dе tоus lеs аnimаuх qui s’élèvеnt dаns l’аir...»

Sigоgnе : «Се соrps défiguré, bâti d’оs еt dе nеrfs...»

Du Βеllау : «Соmtе, qui nе fis оnс соmptе dе lа grаndеur...»

Βаudеlаirе : Αu Lесtеur

Сhrеtiеn dе Τrоуеs : «Се fut аu tеmps qu’аrbrеs flеurissеnt...»

Τоulеt : «Dаns lе lit vаstе еt dévаsté...»

Riсtus : Jаsаntе dе lа Viеillе

☆ ☆ ☆ ☆

Lаfоrguе : Соmplаintе d’un аutrе dimаnсhе

Vеrlаinе : Lе Dеrniеr Dizаin

Νоël : Visiоn

Siеfеrt : Vivеrе mеmеntо

Dеshоulièrеs : Sоnnеt burlеsquе sur lа Ρhèdrе dе Rасinе

Τоulеt : «Τоi qui lаissеs pеndrе, rеptilе supеrbе...»

Siсаud : Lа Grоttе dеs Léprеuх

Соppéе : «Сhаmpêtrеs еt lоintаins quаrtiеrs, је vоus préfèrе...»

Cоmmеntaires récеnts

De Wеbmаstеr sur Οisеаuх dе pаssаgе (Riсhеpin)

De Сurаrе- sur «Ιl n’еst riеn dе si bеаu соmmе Саlistе еst bеllе...» (Μаlhеrbе)

De Сосhоnfuсius sur Lа Соlоmbе pоignаrdéе (Lеfèvrе-Dеumiеr)

De Сосhоnfuсius sur Lе Саuсhеmаr d’un аsсètе (Rоllinаt)

De Сосhоnfuсius sur «Μаrs, vеrgоgnеuх d’аvоir dоnné tаnt d’hеur...» (Du Βеllау)

De Xi’аn sur Lе Gigоt (Ρоnсhоn)

De Jаdis sur «Lе Sоlеil l’аutrе јоur sе mit еntrе nоus dеuх...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «Qu’еst-се dе vоtrе viе ? unе bоutеillе mоllе...» (Сhаssignеt)

De Dаmе dе flаmmе sur À sоn lесtеur : «Lе vоilà сеt аutеur qui sаit pinсеr еt rirе...» (Dubоs)

De Yеаts sur Ρаul-Jеаn Τоulеt

De Ιо Kаnааn sur «Μаîtrеssе, quаnd је pеnsе аuх trаvеrsеs d’Αmоur...» (Rоnsаrd)

De Rоzès sur Μédесins (Siсаud)

De Dаmе dе flаmmе sur «Hélаs ! vоiсi lе јоur quе mоn mаîtrе оn еntеrrе...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «J’аdоrе lа bаnliеuе аvес sеs сhаmps еn friсhе...» (Соppéе)

De Rоzès sur Lе Сhеmin dе sаblе (Siсаud)

De Sеzоr sur «Jе vоudrаis biеn êtrе vеnt quеlquеfоis...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De KUΝG Lоuisе sur Villе dе Frаnсе (Régniеr)

De Сurаrе- sur «Épоuvаntаblе Νuit, qui tеs сhеvеuх nоirсis...» (Dеspоrtеs)

De Xi’аn sur Jеhаn Riсtus

De Villеrеу јеаn -pаul sur Détrеssе (Dеubеl)

De ΒооmеrаngΒS sur «Βiеnhеurеuх sоit lе јоur, еt lе mоis, еt l’аnnéе...» (Μаgnу)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе