À Louis Boulanger.
Il faisait nuit dans moi, nuit sans lune, nuit sombre ;
Je marchais en aveugle et tâtant le chemin,
Les deux bras en avant, le long des murs, dans l’ombre.
Mon conducteur céleste avait quitté ma main,
J’avais beau me tourner vers l’étoile polaire,
Un nuage éteignait ses prunelles d’or fin.
La bella, la diva, celle qui m’a su plaire,
La noble dame à qui j’ai donné mon amour,
Hélas ! m’avait ôté son appui tutélaire.
Béatrix, dans les cieux, avait fui sans retour,
Et moi, resté tout seul au seuil du purgatoire,
Je ne pouvais voler aux lieux d’où vient le jour.
À coup sûr tu n’auras aucune peine à croire
Quel deuil j’avais au cœur et quel chagrin amer
D’être ainsi confiné dans la demeure noire.
Sur ma tête pesait la coupole de fer,
Et je sentais partout, comme une mer glacée,
Autour de mon essor prendre et se durcir l’air.
Mes efforts étaient vains, et ma triste pensée,
Comme fait dans sa cage un captif impuissant,
Fouettait le mur d’airain de son aile brisée.
Je montai l’escalier d’un pas lourd et pesant,
Et quand s’ouvrit la porte, un torrent de lumière
M’inonda de splendeur, tel qu’un flot jaillissant.
Sur mon œil ébloui palpitait ma paupière
Comme une aile d’oiseau quand il va pour voler ;
On m’eût pris, à me voir, pour un homme de pierre.
Je demeurai longtemps sans pouvoir te parler,
Plongeant mes yeux ravis au fond de ta peinture
Qu’un rayon de soleil faisait étinceler.
Comme sur un balcon, une riche tenture
Pendait du haut du ciel, un beau ton d’outremer
Plus vif que nul saphir dans l’écrin de nature.
Quelques nuages chauds, sous les frissons de l’air,
Se crêpaient mollement et faisaient une frange,
Aussi blonde que l’or au manteau de l’éther.
Sur le sable éclatant, plus jaune que l’orange,
Les grands pins balançant leur large parasol
Avec l’ombre agitaient leur silhouette étrange.
Une grêle de fleurs jonchait partout le sol,
Et l’on eût dit, au bout de leurs tiges pliantes,
Des papillons peureux suspendus dans leur vol.
Sous leurs robes d’azur aux lignes ondoyantes,
Le ciel et l’horizon dans un baiser charmant,
Fondaient avec amour leurs lèvres souriantes.
Le printemps parfumé, beau comme un jeune amant,
Avec ses bras de lys environnant la terre,
Aux avances des fleurs répondait doucement.
Afin de célébrer le solennel mystère,
La nature avait mis son plus riche manteau.
Les éléments joyeux faisaient trêve à leur guerre.
Ô miracle de l’art ! ô puissance du beau !
Je sentais dans mon cœur se redresser mon âme
Comme au troisième jour le Christ dans son tombeau.
L’ombre se dissipait. La belle et noble dame,
Tendant ses blanches mains du fond des cieux ouverts,
M’engageait à monter par l’escalier de flamme.
Les bouvreuils réjouis sifflaient leurs plus beaux airs,
Tout riait, tout chantait, tout palpitait des ailes,
Et les échos charmés disaient des fins de vers.
Beau cygne italien, roi des amours fidèles,
Poète aux rimes d’or, dont le chant triste et doux
Semble un roucoulement de blanches tourterelles.
Figure à l’air pensif, et toujours à genoux ;
Les mains jointes devant ton idole muette,
Te voilà donc vivante et revenue à nous !
Je te reconnais bien ; oui, c’est bien toi, poète,
Le camail écarlate encadre ton front pur
Et marque austèrement l’ovale de ta tête.
Tes yeux semblent chercher dans le fluide azur,
Les yeux clairs et luisants de ta maîtresse blonde,
Pour en faire un soleil qui rende l’autre obscur.
Car tu n’as qu’une idée et qu’un amour au monde ;
Tout l’univers pour toi pivote sur un nom
Et le reste n’est rien que boue et fange immonde.
Sous le laurier mystique et le divin rayon,
Tu t’avances traîné par l’éclatant quadrige,
Entre la rêverie et l’inspiration.
Un chœur harmonieux autour de toi voltige,
C’est la chaste Uranie avec son globe bleu,
Penchant son front rêveur comme un lys sur sa tige,
Euterpe, Polymnie, un sein nu, l’œil en feu,
C’est Clio belle et simple en son manteau sévère ;
Tout le sacré troupeau qui te suit comme un dieu.
Les Grâces, dénouant leur ceinture légère,
Dansent derrière toi, sur le char triomphal ;
À l’égal d’un César le monde te révère.
À ta suite l’on voit l’orgueilleux cardinal,
Comme un pavot qui brille à travers l’or des gerbes,
D’écarlate et d’hermine inonder son cheval.
Rien n’y manque... Seigneurs blasonnés et superbes,
Prêtres, marchands, soldats, professeurs, écoliers,
Les vieillards tout chenus, et les pages imberbes ;
De beaux jeunes garçons et de blonds écuyers,
Soufflent allègrement aux bouches des trompettes
Et suspendent leurs bras aux crins blancs des coursiers.
Sur le devant du char les filles les mieux faites,
Les plus charmantes fleurs du jardin de beauté,
Font de leurs doigts de lys pleuvoir les violettes.
Tu viens du Capitole où César est monté ;
Cependant tu n’as pas, ô bon François Pétrarque,
Mis pour ceinture au monde un fleuve ensanglanté.
Tu n’as pas, de tes dents, pour y laisser ta marque,
Comme un enfant mauvais, mordu ta ville au sein.
Tu n’as jamais flatté, ni peuple ni monarque.
Jamais on ne te vit, en guise de tocsin,
Sur l’Italie en feu faire hurler tes rimes,
Ton rôle fut toujours pacifique et serein.
Loin des cités, l’auberge et l’atelier des crimes,
Tu regardes, couché sous les grands lauriers verts,
Des Alpes tout là bas bleuir les hautes cimes.
Et penchant tes doux yeux sur la source aux flots clairs
Où flotte un blanc reflet de la robe de Laure ;
Avec les rossignols tu gazouilles des vers.
Car toujours, dans ton cœur, vibre un écho sonore,
Et toujours sur ta bouche on entend palpiter
Quelque nid de sonnets éclos ou près d’éclore.
Rêveur harmonieux, tu fais bien de chanter,
C’est là le seul devoir que Dieu donne aux poètes,
Et le monde à genoux les devrait écouter.
Lorsqu’Amphion chantait, du creux de leurs retraites,
Les tigres tachetés et les grands lions roux
Sortaient en balançant leurs monstrueuses têtes.
Les dragons s’en venaient d’un air timide et doux,
De leur langue d’azur lécher ses pieds d’ivoire,
Et les vents suspendaient leur vol et leur courroux.
Faire sortir les ours de leur caverne noire ;
En agneaux caressants transformer les lions,
Ô poètes ! voilà la véritable gloire ;
Et non pas de pousser à des rébellions
Tous ces mauvais instincts, bêtes fauves de l’âme,
Que l’on déchaîne au jour des révolutions.
Sur l’autel idéal, entretenez la flamme,
Guidez le peuple au bien par le chemin du beau,
Par l’admiration et l’amour de la femme ;
Comme un vase d’albâtre où l’on cache un flambeau,
Mettez l’idée au fond de la forme sculptée
Et d’une lampe ardente éclairez le tombeau ;
Que votre douce voix, de Dieu même écoutée,
Au milieu du combat jetant des mots de paix,
Fasse tomber les flots de la foule irritée.
Que votre poésie, aux vers calmes et frais,
Soit pour les cœurs souffrants, comme ces cours d’eau vive
Où vont boire les cerfs, dans l’ombre des forêts.
Faites de la musique avec la voix plaintive
De la création et de l’humanité,
De l’homme dans la ville et du flot sur la rive.
Puis, comme un beau symbole, un grand peintre vanté
Vous représentera dans une immense toile,
Sur un char triomphal par un peuple escorté.
Et vous aurez au front la couronne et l’étoile !