Émile Goudeau

Fleurs du bitume, 1878


La Ronde du remords


 
Je sortais d’une orgie âcre et stupéfiante
Où ma raison avait brûlé comme un sarment ;
Plus lourde que le plomb, l’atmosphère ambiante
Faisait craquer mes os tordus d’accablement.
La fièvre secouait les cloisons de ma tempe,
Et dans le cercle blanc et rouge de la lampe
L’horreur des visions tournait cruellement.
 
Des parfums féminins se mêlaient dans la chambre
À l’arôme troublant des cigares fumés :
Vagues parfums d’iris, d’ylang-ylang et d’ambre,
Et de grains de sérail autrefois consumés.
Mon oreille tintait aux souvenirs d’orgie,
Et le marteau d’acier de la céphalalgie
Poussait dans mon cerveau des rêves innomés.
 
Ma chair était meurtrie, et mon âme si lasse,
Et par le spleen mon cœur tellement angoissé,
Que je tombai dans un fauteuil, près de la glace,
Pour me revoir comme un ami trop délaissé.
Et je me regardais de la sorte, moi-même.
La glace m’envoya mon image si blême,
Qu’on aurait dit un spectre affreux de trépassé.
 
Tout à coup, une voix terrible, intérieure,
Fit retentir mes nerfs, et, sortant malgré moi
De ma bouche fermée, elle emplit ma demeure
D’un cri lugubre, et j’eus peur sans savoir pourquoi.
La voix disait avec un rire métallique :
« Voici tes gueux ! voici tes morts ! voici ta clique !
Maudit ! vois tes remords qui passent devant toi ! »
 
Dans la glace ils marchaient, les uns après les autres,
Tous les actes mauvais et louches, le front bas,
Mâchonnant dans leurs dents d’obscènes patenôtres ;
Et leur procession avançait pas à pas.
Derrière eux, les secrets calculs, les vilenies
Que tu fuis, ô mon cœur, et qu’en vain tu renies,
Comme des nains bossus agitaient de grands bras.
 
D’autres, parmi le bruit et parmi les huées,
Ivres, et revêtus d’habits de croque-morts,
Portaient des cercueils pleins d’illusions tuées
Dont je ne reverrai les âmes ni les corps.
Que de rêves défunts d’héroïsme ou de gloire,
Quels cadavres d’amours souillés de fange noire
Ont roulé sous les pieds des spectres du Remords !
 
Puis tous les nains bossus et tous les gueux immondes,
Avec la joie atroce et funèbre du Mal,
Autour de ces débris commencèrent des rondes
Que guidait invisible un orchestre infernal.
Et dans le tourbillon je ne sais qui m’entraîne
Hurrah ! c’est la Saint-Guy, la tarentelle obscène,
Et je danse avec eux le ballet bacchanal.
 
Sombre nuit, où je vis tant de hontes recluses
Sortir du passé pour m’offrir leur nudité ;
Où le torrent jeta par-dessus ses écluses
La fange de mon cœur et son iniquité...
Hélas ! quand le soleil, cognant à ma fenêtre,
M’éveilla, je compris que, la veille peut-être,
Le fleuve où j’avais bu n’était pas le Léthé.
 

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Jаmmеs : Lа sаllе à mаngеr

Rоnsаrd : «Μаriе, vоus аvеz lа јоuе аussi vеrmеillе...»

Αuvrау : «Hélаs ! qu’еst-се dе l’hоmmе оrguеillеuх еt mutin...»

Сhаssignеt : «À bеаuсоup dе dаngеr еst suјеttе lа flеur...»

Siеfеrt : Ρаntоum : «Αu сlаir sоlеil dе lа јеunеssе...»

Siеfеrt : Ρаntоum : «Αu сlаir sоlеil dе lа јеunеssе...»

Βаrbiеr : Lа Сuvе

Τristаn L’Hеrmitе : Épitаphе d’un pеtit сhiеn

Gаutiеr : Lа Μаnsаrdе

Βruаnt : À lа Ρlасе Μаubеrt

☆ ☆ ☆ ☆

Jаmmеs : Lа sаllе à mаngеr

Lаfоrguе : Épiсuréismе

Guуоn : Αbаndоn еntiеr

Gаutiеr : L’Hippоpоtаmе

Riсhеpin : Αutrе еаu-fоrtе : «Lа visсоpе еn аrrièrе...»

Βrizеuх : «Lоrsquе sur mа fеnêtrе, à l’hеurе du révеil...»

Μussеt : Μimi Ρinsоn

Rimbаud : Lеs Ρоètеs dе sеpt аns

Vеrlаinе : «Εt ј’аi rеvu l’еnfаnt uniquе : il m’а sеmblé...»

Соppéе : Αu théâtrе

Cоmmеntaires récеnts

De Сurаrе- sur «Un sоir, lе lоng dе l’еаu, еllе mаrсhаit pеnsivе...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De Сосhоnfuсius sur «Quаnd du sоrt inhumаin lеs tеnаillеs flаmbаntеs...» (Αubigné)

De Сосhоnfuсius sur Lе biеn viеnt еn dоrmаnt (Gréсоurt)

De Сосhоnfuсius sur Αu vеnt (Urfé)

De GΟUUΑUX sur «J’étаis à tоi pеut-êtrе аvаnt dе t’аvоir vu...» (Dеsbоrdеs-Vаlmоrе)

De Jаdis sur Lе Сhаt (Rоllinаt)

De Rоzès sur Répétitiоn (Vаuсаirе)

De Jаdis sur Lеs Αngéliquеs (Νеlligаn)

De Xi’аn sur Sоnnеt : «Νоn, quаnd biеn mêmе unе аmèrе sоuffrаnсе...» (Μussеt)

De Rоzès sur Εsсlаvаgе (Τhаlу)

De Jаdis sur Épitаphе d’un сhiеn (Μаllеvillе)

De Сurаrе- sur Lе Lаit dеs сhаts (Guérin)

De Ιо Kаnааn sur Сrоquis (Сrоs)

De Сurаrе- sur À un sоt аbbé dе quаlité (Sаint-Ρаvin)

De Τristаn Βеrnаrd sur Lеs Соnquérаnts (Hеrеdiа)

De Lа Μusérаntе sur Sоnnеt dе Ρоrсеlаinе (Viviеn)

De Dаmе dе flаmmе sur «Du tristе сœur vоudrаis lа flаmmе étеindrе...» (Sаint-Gеlаis)

De Wеbmаstеr sur Lа Ρеtitе Ruе silеnсiеusе (Fоrt)

De Dаmе dе flаmmе sur «Τоi qui trоublеs lа pаiх dеs nоnсhаlаntеs еаuх...» (Βеrnаrd)

De Xi’аn sur Μirlitоn (Соrbièrе)

De Xi’аn sur «Αimеz-vоus l’оdеur viеillе...» (Μilоsz)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе