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[Posthumes]
Une sorte de verve étrange, point muette,
Point sourde, éclate et fait du printemps un poète ;
Tout parle et tout écoute et tout aime à la fois ;
Et l’antre est une bouche et la source une voix ;
L’oiseau regarde ému l’oiselle intimidée,
Et dit : Si je faisais un nid ? c’est une idée !
Comme rêve un songeur le front sur l’oreiller,
La nature se sent en train de travailler,
Bégaie un idéal dans ses noirs dialogues,
Fait des strophes qui sont les chênes, des églogues
Qui sont les amandiers et les lilas en fleur,
Et se laisse railler par le merle siffleur ;
Il lui vient à l’esprit des nouveautés superbes ;
Elle mêle la folle avoine aux grandes herbes ;
Son poème est la plaine où paissent les troupeaux ;
Savante, elle n’a pas de trêve et de repos
Jusqu’à ce qu’elle accouple et combine et confonde
L’encens et le poison dans la sève profonde ;
De la nuit monstrueuse elle tire le jour ;
Souvent avec la haine elle fait de l’amour ;
Elle a la fièvre et crée, ainsi qu’un sombre artiste ;
Tout ce que la broussaille a d’hostile et de triste,
Le buisson hérissé, la steppe, le maquis,
Se condense, ô mystère, en un chef-d’œuvre exquis
Que l’épine complète et que le ciel arrose ;
Et l’inspiration des ronces, c’est la rose.
21 janvier 1877
I
C’était la première soirée
Du mois d’avril.
Je m’en souviens, mon adorée.
T’en souvient-il ?
Nous errions dans la ville immense,
Tous deux, sans bruit,
À l’heure où le repos commence
Avec la nuit !
Heure calme, charmante, austère,
Où le soir naît !
Dans cet ineffable mystère
Tout rayonnait,
Tout ! l’amour dans tes yeux sans voile,
Fiers, ingénus !
Aux vitres mainte pauvre étoile,
Au ciel Vénus !
Notre-Dame, parmi les dômes
Des vieux faubourgs,
Dressait comme deux grands fantômes
Ses grandes tours.
La Seine, découpant les ombres
En angles noirs,
Faisait luire sous les ponts sombres
De clairs miroirs.
L’œil voyait sur la plage amie
Briller ses eaux
Comme une couleuvre endormie
Dans les roseaux.
Et les passants, le long des grèves
Où l’onde fuit,
Étaient vagues comme les rêves
Qu’on a la nuit !
Je te disais : — « Clartés bénies,
Bruits lents et doux,
Dieu met toutes les harmonies
Autour de nous !
Aube qui luit, soir qui flamboie,
Tout a son tour ;
Et j’ai l’âme pleine de joie,
Ô mon amour !
Que m’importe que la nuit tombe,
Et rende, ô Dieu !
Semblable au plafond d’une tombe
Le beau ciel bleu !
Que m’importe que Paris dorme,
Ivre d’oubli,
Dans la brume épaisse et sans forme
Enseveli !
Que m’importe, aux heures nocturnes
Où nous errons,
Les ombres qui versent leurs urnes
Sur tous les fronts,
Et, noyant de leurs plis funèbres
L’âme et le corps,
Font les vivants dans les ténèbres
Pareils aux morts !
Moi, lorsque tout subit l’empire
Du noir sommeil,
J’ai ton regard, j’ai ton sourire,
J’ai le soleil ! »
Je te parlais, ma bien-aimée ;
Ô doux instants !
Ta, main pressait ma main charmée.
Puis, bien longtemps,
Nous nous regardions pleins de flamme,
Silencieux,
Et l’âme répondait à l’âme,
Les yeux aux yeux !
Sous tes cils une larme obscure
Brillait parfois ;
Puis ta voix parlait, tendre et pure,
Après ma voix,
Comme on entend dans la coupole
Un double écho ;
Comme après un oiseau s’envole
Un autre oiseau.
Tu disais : « Je suis calme et fière,
Je t’aime ! oui ! »
Et je rêvais à ta lumière
Tout, ébloui !
Oh ! ce fut une heure sacrée,
T’en souvient-il?
Que cette première soirée
Du mois d’avril !
Tout en disant toutes les choses,
Tous les discours
Qu’on dit dans la saison des roses
Et des amours,
Nous allions, contemplant dans l’onde
Et dans l’azur
Cette lune qui jette au monde
Son rayon pur,
Et qui, d’en haut, sereine comme
Un front dormant,
Regarde le bonheur de l’homme
Si doucement ! ....
II
Tu disais : « Ô soleils sans nombre !
Nuit ! ciel en feu !
Dans vos clartés et dans votre ombre,
Tout monte à Dieu.
Rien ne se perd ! Cendre, étincelle,
Ramier, vautour,
Le moindre battement d’une aile
Ou d’un amour,
Le chant du nid qui sous la feuille
Va s’assoupir,
Du cœur pensif qui se recueille
Chaque soupir,
Les rêves de l’âme enivrée,
Du front qui bout;
La nature immense et sacrée
Retrouve tout !
Car tout suit sa loi grave et douce !
Tout à la fois !
L’herbe verdit, la branche pousse
Au fond des bois,
La nuit endort les champs, la foule,
Les mers, les monts,
Le vent fuit, l’astre luit, l’eau coule,
Et nous aimons !
Nous aimons parce que nous sommes !
C’est notre vœu !
Aimer, c’est vivre loin des hommes
Et près de Dieu !
C’est s’ouvrir à la clarté pure,
Comme la fleur !
C’est sentir toute la nature
Vivre en son cœur !
C’est accomplir le code auguste
D’Éden naissant
Que suivait devant le ciel juste
L’homme innocent !
Soyons heureux, ô toi que j’aime !
Bravons le sort !
Car seuls à cette heure suprême,
Seuls quand tout dort ;
Dédaignant d’un monde où tout tremble
Les bonheurs vains,
Sûrs d’être en paix avec l’ensemble
Des faits divins,
Comme en un temple où l’ombre rampe
Devant nos pas,
On suit la lueur d’une lampe
Qu’on ne voit pas,
Nous sentons sur notre âme fière,
Tout en rêvant,
L’œil sans sommeil, l’œil sans paupière
Du Dieu vivant !
Va, dans mon cœur rien ne chancelle.
Sois mon époux.
La conscience universelle
Est avec nous !
Donnons-nous à l’amour ! — Écoute,
Soupirs, concerts,
Pervenche du bord de la route,
Perle des mers,
La mousse en avril épaissie
Des bois dormants,
Les sourires, la poésie,
Les pleurs charmants,
Le bleu du ciel, le vert de l’onde,
L’éclat du jour,
Les belles choses de ce monde
Sont à l’amour !
C’est l’amour qui tient tolite chose,
Et fait d’un mot
Épanouir ici la rose,
L’astre là-haut.
C’est lui qui veut qu’on ne commande
Qu’à deux genoux !
C’est lui qui fait la femme grande
Et l’homme doux ! »
Ainsi tu parlais, et sans doute,
Dieu t’inspirait ;
Car j’écoutais comme on écoute
Dans la forêt,
Quand Dieu se mêle à la nature,
Au bruit des vents,
Quand il parle dans le murmure
Des bois vivants !
Août 1844.
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