Hugo

Odes et Ballades


La Fée et la Péri


   
Leur ombre vagabonde, à travers le feuillage,
Frémira ; sur les vents ou sur quelque nuage,
Tu les verras descendre ; ou, du sein de la mer
S’élevant comme un songe, étinceler dans l’air ;
Et leur voix, toujours tendre et doucement plaintive,
Caresser en fuyant ton oreille attentive.
ANDRÉ CHÉNIER.


 

I


 
Enfants ! si vous mouriez, gardez bien qu’un esprit
De la route des cieux ne détourne votre âme !
Voici ce qu’autrefois un vieux sage m’apprit : —
Quelques démons sauvés de l’éternelle flamme,
Rebelles moins pervers que l’Archange proscrit,
Sur la terre, où le feu, l’onde ou l’air les réclame,
Attendent, exilés, le jour de Jésus-Christ.
Il en est qui, bannis des célestes phalanges,
Ont de si douces voix qu’on les prend pour des anges.
Craignez-les : pour mille ans exclus du paradis,
Ils vous entraîneraient, enfants, au purgatoire ! — 
Ne me demandez pas d’où me vient cette histoire ;
Nos pères l’ont contée ; et moi, je la redis.
 
 
 
 

II


 
 

LA PÉRI


 
 
        Où vas-tu donc jeune âme ?... Écoute !
        Mon palais pour toi veut s’ouvrir.
        Suis-moi, des cieux quitte la route ;
        Hélas ! tu t’y perdrais sans doute,
        Nouveau-né, qui viens de mourir !
 
        Tu pourras jouer à toute heure
        Dans mes beaux jardins aux fruits d’or ;
        Et de ma riante demeure
        Tu verras ta mère qui pleure
        Près de ton berceau, tiède encor.
 
        Des Péris je suis la plus belle ;
        Mes sœurs règnent où naît le jour ;
        Je brille en leur troupe immortelle,
        Comme entre les fleurs brille celle
        Que l’on cueille en rêvant d’amour.
 
        Mon front porte un ruban de soie ;
        Mes bras de rubis sont couverts ;
        Quand mon vol ardent se déploie,
        L’aile de pourpre qui tournoie
        Roule trois yeux de flamme ouverts.
 
        Plus blanc qu’une lointaine voile,
        Mon corps n’en a point la pâleur ;
        En quelque lieu qu’il se dévoile,
        Il l’éclaire comme une étoile,
        Il l’embaume comme une fleur !
 
 
 

LA FÉE


 
        Viens, bel enfant ! je suis la Fée.
        Je règne aux bords où le soleil
        Au sein de l’onde réchauffée
        Se plonge, éclatant et vermeil.
        Les peuples d’Occident m’adorent.
        Les vapeurs de leur ciel se dorent,
        Lorsque je passe en les touchant ;
        Reine des ombres léthargiques,
        Je bâtis mes palais magiques
        Dans les nuages du couchant.
 
        Mon aile bleue est diaphane ;
        L’essaim des Sylphes enchantés
        Croit voir sur mon dos, quand je plane,
        Frémir deux rayons argentés.
        Ma main luit, rose et transparente ;
        Mon souffle est la brise odorante
        Qui, le soir, erre dans les champs ;
        Ma chevelure est radieuse,
        Et ma bouche mélodieuse
        Mêle un sourire à tous ses chants !
 
        J’ai des grottes de coquillages ;
        J’ai des tentes de rameaux verts ;
        C’est moi que bercent les feuillages,
        Moi que berce le flot des mers.
        Si tu me suis, ombre ingénue,
        Je puis t’apprendre où va la nue,
        Te montrer d’où viennent les eaux ;
        Viens, sois ma compagne nouvelle,
        Si tu veux que je te révèle
        Ce que dit la voix des oiseaux.
 
 
 

III


 
 

LA PÉRI


 
Ma sphère est l’Orient, région éclatante,
Où le soleil est beau comme un roi dans sa tente !
Son disque s’y promène en un ciel toujours pur.
Ainsi, portant l’émir d’une riche contrée,
        Aux sons de la flûte sacrée,
Vogue un navire d’or sur une mer d’azur.
 
Tous les dons ont comblé la zone orientale.
Dans tout autre climat, par une loi fatale,
Près des fruits savoureux croissent les fruits amers ;
Mais Dieu, qui pour l’Asie a des yeux moins austères,
        Y donne plus de fleurs aux terres,
Plus d’étoiles aux cieux, plus de perles aux mers !
 
Mon royaume s’étend depuis ces catacombes
Qui paraissent des monts et ne sont que des tombes,
Jusqu’à ce mur qu’un peuple ose en vain assiéger,
Qui, tel qu’une ceinture où le Cathay respire,
        Environnant tout un empire,
Garde dans l’univers comme un monde étranger !
 
J’ai de vastes cités qu’en tous lieux on admire,
Lahore aux champs fleuris ; Golconde ; Cachemire ;
La guerrière Damas ; la royale Ispahan ;
Bagdad, que ses remparts couvrent comme une armure ;
        Alep, dont l’immense murmure
Semble au pâtre lointain le bruit d’un Océan.
 
Mysore est sur son trône une reine placée ;
Médine aux mille tours, d’aiguilles hérissée,
Avec ses flèches d’or, ses kiosques brillants,
Est comme un bataillon, arrêté dans les plaines,
        Qui, parmi ses tentes hautaines,
Élève une forêt de dards étincelants.
 
On dirait qu’au désert, Thèbes, debout encore,
Attend son peuple entier, absent depuis l’aurore.
Madras a deux cités dans ses larges contours.
Plus loin brille Delhy, la ville sans rivales,
        Et sous ses portes triomphales
Douze éléphants de front passent avec leurs tours.
 
Bel enfant ! viens errer, parmi tant de merveilles,
Sur ces toits pleins de fleurs ainsi que des corbeilles,
Dans le camp vagabond des arabes ligués.
Viens ; nous verrons danser les jeunes bayadères,
        Le soir, lorsque les dromadaires
Près du puits du désert s’arrêtent fatigués.
 
Là, sous de verts figuiers, sous d’épais sycomores,
Luit le dôme d’étain du minaret des Maures ;
La pagode de nacre au toit rose et changeant ;
La tour de porcelaine aux clochettes dorées ;
        Et, dans les jonques azurées,
Le palanquin de pourpre aux longs rideaux d’argent.
 
J’écarterai pour toi les rameaux du platane
Qui voile dans son bain la rêveuse sultane ;
Viens, nous rassurerons contre un ingrat oubli
La vierge qui, timide, ouvrant la nuit sa porte,
        Écoute si le vent lui porte
La voix qu’elle préfère au chant du bengali.
 
L’Orient fut jadis le paradis du monde.
Un printemps éternel de ses roses l’inonde,
Et ce vaste hémisphère est un riant jardin.
Toujours autour de nous sourit la douce joie ;
        Toi qui gémis, suis notre voie :
Que t’importe le Ciel, quand je t’ouvre l’Éden ?
 
 
 

LA FÉE


 
L’Occident nébuleux est ma patrie heureuse.
Là, variant dans l’air sa forme vaporeuse,
Fuit la blanche nuée, ... et de loin, bien souvent,
Le mortel isolé qui, radieux ou sombre,
        Poursuit un songe ou pleure une ombre,
        Assis, la contemple en rêvant !
 
Car il est des douceurs pour les âmes blessées
Dans les brumes du lac sur nos bois balancées,
Dans nos monts où l’hiver semble à jamais s’asseoir,
Dans l’étoile, pareille à l’espoir solitaire,
        Qui vient, quand le jour fuit la terre,
        Mêler son orient au soir.
 
Nos cieux voilés plairont à ta douleur amère,
Enfant que Dieu retire et qui pleures ta mère !
Viens, l’écho des vallons, les soupirs du ruisseau,
Et la voix des forêts au bruit des vents unie,
        Te rendront la vague harmonie
        Qui t’endormait dans ton berceau !
 
Crains des bleus horizons le cercle monotone.
Les brouillards, les vapeurs, le nuage qui tonne,
Tempèrent le soleil dans nos cieux parvenu ;
Et l’œil voit au loin fuir leurs lignes nébuleuses,
        Comme des flottes merveilleuses
        Qui viennent d’un monde inconnu !
 
C’est pour moi que les vents font, sur nos mers bruyantes,
Tournoyer l’air et l’onde en trombes foudroyantes ;
La tempête à mes chants suspend son vol fatal ;
L’arc-en-ciel pour mes pieds, qu’un or fluide arrose,
        Comme un pont de nacre, se pose
        Sur les cascades de cristal.
 
Du moresque Alhambra j’ai les frêles portiques ;
J’ai la grotte enchantée aux piliers basaltiques,
Où la mer de Staffa brise un flot inégal ;
Et j’aide le pêcheur, roi des vagues brumeuses,
        À bâtir ses huttes fumeuses
        Sur les vieux palais de Fingal.
 
Épouvantant les nuits d’une trompeuse aurore,
Là, souvent à ma voix un rouge météore
Croise en voûte de feu ses gerbes dans les airs ;
Et le chasseur, debout sur la roche pendante,
        Croit voir une comète ardente
        Baignant ses flammes dans les mers !
 
Viens, jeune âme, avec moi, de mes sœurs obéie,
Peupler de gais follets la morose abbaye ;
Mes nains et mes géants te suivront à ma voix ;
Viens, troublant de ton cor les monts inaccessibles,
        Guider ces meutes invisibles
        Qui, la nuit, chassent dans nos bois.
 
Tu verras les barons, sous leurs tours féodales,
De l’humble pèlerin détachant les sandales ;
Et les sombres créneaux d’écussons décorés ;
Et la dame tout bas priant, pour un beau page,
        Quelque mystérieuse image
        Peinte sur des vitraux dorés.
 
C’est nous qui, visitant les gothiques églises,
Ouvrons leur nef sonore au murmure des brises ;
Quand la lune du tremble argente les rameaux,
Le pâtre voit dans l’air, avec des chants mystiques,
        Folâtrer nos chœurs fantastiques
        Autour du clocher des hameaux.
 
De quels enchantements l’Occident se décore ! — 
Viens, le ciel est bien loin, ton aile est faible encore !
Oublie en notre empire un voyage fatal.
Un charme s’y révèle aux lieux les plus sauvages ;
        Et l’étranger dit nos rivages
        Plus doux que le pays natal !
 
 
 

IV


 
Et l’enfant hésitait, et déjà moins rebelle
Écoutait des esprits l’appel fallacieux ;
La terre qu’il fuyait semblait pourtant si belle ! — 
Soudain il disparut à leur vue infidèle...
        Il avait entrevu les cieux !
 

Juillet 1824.

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