Hugo

L'Âne, 1880


**

 
Tristesse du philosophe


 
Et l’âne disparut, et Kant resta lugubre.
 
— Oui ! dit-il, la science est encore insalubre ;
L’esprit marche, baissant la tête et parlant bas ;
Et cette surdité de la bête n’est pas
Si stupide en effet que d’abord elle semble.
Puisqu’aux mains du savoir le flambeau sacré tremble,
La protestation est juste.
                                              Jusqu’au jour
Où la science aura pour but l’immense amour,
Où partout l’homme, aidant la nature asservie,
Fera de la lumière et fera de la vie,
Où les peuples verront les puissants écrivains,
Les songeurs, les penseurs, les poètes divins,
Tous les saints instructeurs, toutes les fières âmes,
Passer devant leurs yeux comme des vols de flammes ;
Où l’on verra, devant le grand, le pur, le beau,
Fuir le dernier despote et le dernier fléau ;
Jusqu’au jour de vertu, de candeur, d’espérance,
Où l’étude pourra s’appeler délivrance,
Où les livres plus clairs refléteront les cieux,
Où tout convergera vers ce point radieux :
— L’esprit humain meilleur, l’âme humaine plus haute,
La terre, éden sacré, digne d’Adam son hôte,
L’homme marchant vers Dieu sans trouble et sans effroi,
La douce liberté cherchant la douce loi,
La fin des attentats, la fin des catastrophes. —
Oui, jusqu’à ce jour-là, tant que les philosophes,
Prêtres du beau, d’autant plus vils qu’ils sont plus grands,
Seront les courtisans possibles des tyrans ;
Tant qu’ils conseilleront César qui délibère ;
Tant qu’Uranie ira s’attabler chez Tibère ;
Tant que l’astronomie au vol sublime et prompt,
Et la métaphysique, et l’algèbre seront
Des servantes du crime et des filles publiques ;
Tant que Dieu louchera dans leurs regards obliques ;
Tant que la vérité, mère des droits humains,
Ô douleur ! sortira difforme de leurs mains ;
Tant qu’insultant le juste, abjects, creusant sa fosse,
Les scribes salueront la religion fausse,
Le faux pouvoir, Caïphe à qui Néron se joint ;
Tant que l’intelligence, hélas, ne sera point
La grande propagande et la grande bravoure ;
Tant qu’épris des faux biens que le méchant savoure,
Les froids penseurs prendront l’erreur pour minerai ;
Tant qu’ils ne seront pas les Hercules du vrai,
Acceptant du progrès les gigantesques tâches ;
Tant que les lumineux pourront être les lâches ;
Tant que la science, ange à qui l’Être a parlé,
Infâme, baissera sur son front constellé
Ce capuchon sinistre et noir, l’hypocrisie ;
Tant que de l’air des cours elle sera noircie ;
Tant qu’on admirera ce Bacon effrayant,
Ce monstre fait d’azur et d’infamie, ayant
Le cloaque dans l’âme et dans les yeux l’étoile ;
Tant qu’arrêtant l’esprit qui veut mettre à la voile,
D’abjects vendeurs pourront, sans être foudroyés,
Dire au seuil rayonnant des écoles : Payez !
Tant que le fisc tendra devant l’aube sa toile ;
Tant qu’Isis lèvera pour de l’argent son voile,
Et pour qui n’a pas d’or, pour le pauvre fatal,
Le fermera, Phryné sombre de l’idéal,
Oui, quand même, ô ciel noir, seraient là réunies
Les pléiades des fronts radieux, des génies,
Des Homères aïeux et des Dantes leurs fils,
Oui, contre Athènes, Rome, et Genève, et Memphis,
Et Londre, et toi, Paris, et l’Inde et la Chaldée,
Contre tout le rayon, contre toute l’idée,
Contre les livres pleins de vérités dormant,
Contre l’enseignement, contre le firmament,
Et les esprit sans fin, et les astres sans nombre,
Les oreilles de l’âne auront raison dans l’ombre !
 

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Jасоb : Lе Dépаrt

Βеrtrаnd : Μоn Βisаïеul

Ρоnсhоn : Lе Gigоt

Lа Fоntаinе : Lе Сhаrtiеr еmbоurbé

Jасоb : Silеnсе dаns lа nаturе

Βоilеаu : Sаtirе VΙΙΙ : «Dе tоus lеs аnimаuх qui s’élèvеnt dаns l’аir...»

Sigоgnе : «Се соrps défiguré, bâti d’оs еt dе nеrfs...»

Du Βеllау : «Соmtе, qui nе fis оnс соmptе dе lа grаndеur...»

Βаudеlаirе : Αu Lесtеur

Сhrеtiеn dе Τrоуеs : «Се fut аu tеmps qu’аrbrеs flеurissеnt...»

Τоulеt : «Dаns lе lit vаstе еt dévаsté...»

Riсtus : Jаsаntе dе lа Viеillе

☆ ☆ ☆ ☆

Lаfоrguе : Соmplаintе d’un аutrе dimаnсhе

Vеrlаinе : Lе Dеrniеr Dizаin

Νоël : Visiоn

Siеfеrt : Vivеrе mеmеntо

Dеshоulièrеs : Sоnnеt burlеsquе sur lа Ρhèdrе dе Rасinе

Τоulеt : «Τоi qui lаissеs pеndrе, rеptilе supеrbе...»

Siсаud : Lа Grоttе dеs Léprеuх

Соppéе : «Сhаmpêtrеs еt lоintаins quаrtiеrs, је vоus préfèrе...»

Cоmmеntaires récеnts

De Wеbmаstеr sur Οisеаuх dе pаssаgе (Riсhеpin)

De Сurаrе- sur «Ιl n’еst riеn dе si bеаu соmmе Саlistе еst bеllе...» (Μаlhеrbе)

De Сосhоnfuсius sur Lа Соlоmbе pоignаrdéе (Lеfèvrе-Dеumiеr)

De Сосhоnfuсius sur Lе Саuсhеmаr d’un аsсètе (Rоllinаt)

De Сосhоnfuсius sur «Μаrs, vеrgоgnеuх d’аvоir dоnné tаnt d’hеur...» (Du Βеllау)

De Xi’аn sur Lе Gigоt (Ρоnсhоn)

De Jаdis sur «Lе Sоlеil l’аutrе јоur sе mit еntrе nоus dеuх...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «Qu’еst-се dе vоtrе viе ? unе bоutеillе mоllе...» (Сhаssignеt)

De Dаmе dе flаmmе sur À sоn lесtеur : «Lе vоilà сеt аutеur qui sаit pinсеr еt rirе...» (Dubоs)

De Yеаts sur Ρаul-Jеаn Τоulеt

De Ιо Kаnааn sur «Μаîtrеssе, quаnd је pеnsе аuх trаvеrsеs d’Αmоur...» (Rоnsаrd)

De Rоzès sur Μédесins (Siсаud)

De Dаmе dе flаmmе sur «Hélаs ! vоiсi lе јоur quе mоn mаîtrе оn еntеrrе...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «J’аdоrе lа bаnliеuе аvес sеs сhаmps еn friсhе...» (Соppéе)

De Rоzès sur Lе Сhеmin dе sаblе (Siсаud)

De Sеzоr sur «Jе vоudrаis biеn êtrе vеnt quеlquеfоis...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De KUΝG Lоuisе sur Villе dе Frаnсе (Régniеr)

De Сurаrе- sur «Épоuvаntаblе Νuit, qui tеs сhеvеuх nоirсis...» (Dеspоrtеs)

De Xi’аn sur Jеhаn Riсtus

De Villеrеу јеаn -pаul sur Détrеssе (Dеubеl)

De ΒооmеrаngΒS sur «Βiеnhеurеuх sоit lе јоur, еt lе mоis, еt l’аnnéе...» (Μаgnу)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе