I

 
Les chansonniers, bien que divers,
Ont tous une égale manie :
Après qu’ils vous ont mis en vers
Toutes les proses de la vie,
Ils collent tout ça sur des airs,
Sur de honteuses mélodies...
Ça n’est pas leur moindre travers,
Faut encor qu’ils les psalmodient !
 
 

II

 
Certains, en verbes merveilleux,
Chantent, sans qu’on les en soupçonne.
Le ciel noyé dans l’azur bleu,
Ça ne fait de mal à personne ;
On entend, sans les écouter,
Qu’ils font rimer flamme avec femme ;
Ils ont un succès mérité,
Un grand succès auprès des dames.
 
 

III

 
D’autres cherchent — les animaux !...
Chez leurs semblables, chez leurs frères
Comme vous ou moi, les chameaux ! —
La petite bête, pour faire
Un jeu de mots ahurissant,
Et le public, s’il se déride,
Se dit : « J’en ferais bien autant !
Ah ! Dieu que c’est bête et stupide ! »
 
 

IV

 
Un qui n’est pas souvent content
C’est le chansonnier politique.
Sous n’import’ quel gouvernement
Il se fout de la République.
« Non, dit-il, je ne suis pas fier »,
Quand il regarde la Colonne...
Il rogne de la voir en l’air :
Pourquoi ? ça n’ regarde personne.
 
 

V

 
D’autres enfin gardent pour eux
Leur esprit jusqu’à ce qu’ils meurent,
C’est pour pouvoir le rendre à Dieu
Quand vient pour eux la dernière heure.
Ils se consolent cependant,
Vantent entre eux leur marchandise
Et disent qu’ils ont du talent,
Il faut bien que quelqu’un le dise.