Francis Jammes

De l'Angélus de l'aube à l'Angélus du soir, 1898


Avant que nous rentrions


Avant que nous rentrions, nous promenâmes.
Il me semblait que nous tenions un bouquet d’âmes,
et nous disions des mots qui nous faisaient nous taire.
La nuit pure coulait dans l’eau du torrent vert
et, sur les pics, flottaient des nuées immobiles
pareilles aux nuées de quelque vieille bible.
 
Une bonté d’amour faisait pencher ta tête ;
je ne sais quoi de grave et de grand comme un poète
faisait nos cœurs pareils à de la vérité.
Nous hésitions longuement et lentement à rentrer,
sachant que nos bras nus devaient s’ouvrir ensemble,
sans une hypocrisie et sans timidité.
 
Plus douces que des orphelines qui ont chanté,
les âmes des étoiles blanches et tristes priaient.
Tu me disais des choses délicieuses que l’on a dites.
Tu me disais : « Tu es un tout petit enfant. »
Et ta voix se traînait sur ces mots, détachant
les syllabes et disant : « Un-tout-pe-tit-en-fant. »
 
Je te disais : nous sommes allés à la même école,
quand tu avais quatre ans. N’est-ce pas que c’est drôle ?
Et tu relevais la tête et tes yeux noyés de douceur
me donnaient un regard qui me buvait le cœur.
« Petit ami, » me disais-tu, « que c’est calme ! »
Et nous nous taisions, ne sachant plus nos âmes...
 
Nos deux corps se sont fondus comme des pêches
brûlantes de soleil sur un même pêcher.
Tu disais : « Cette nuit n’a été qu’un baiser...
C’est fou. » Et quand, soûls d’amour,
le jour parut, tu dis : « Que vient faire le jour ? »
 
Tes dents mordaient mes dents et me brisaient la bouche...
L’aube tremblait sur ton profil presque farouche.
Je te disais : tais-toi ! quand tu ne disais rien.
 
Puis nous sommes sortis dans la campagne fraîche.
Nous nous sommes assis sur un mur ébréché.
 
Sur la montagne immense un oiseau criait.
Nous avions peur qu’il ne fût triste à ainsi crier...
Et moi je te disais, pour calmer ton doute :
la mère de l’oiseau qui crie ainsi, comme toutes les
mères des oiseaux, va lui apporter à manger.
« Tu crois ? » me disais-tu, et tu me souriais.
 
Et nous avons marché, et t’ai donné à boire
de l’eau de source avec nos lèvres ensemble.
Tu as crié : « Qu’elle est fraîche ! Oh ! qu’elle est fraîche ! »
 
... Alors il plut. La pluie courait sur la montagne.
C’était la pluie qui fait rêver les villages,
la pluie au bruissaillement tendre et léger,
la pluie qui tinte, la pluie qui pleure du soleil,
la pluie qui arrose les clairs arcs-en-ciel,
la pluie qui fait courir et frissonner les poules.
Et nous fîmes attention à la boue...
 
Nous sommes rentrés doucement pour déjeuner
et, à table, nous nous sommes disputés
sérieusement, et tu as failli pleurer
que je n’admette pas une de tes idées...
 
Tout cela pour, plus tard, retomber dans nos bras nus,
et pour recommencer des caresses où tu
pâlissais dans la lourdeur de tes beaux cheveux.
 
Maintenant, tu es loin, amie. Mais je veux
que ces vers que liront quelques lointains amis
fassent qu’ils t’aiment un peu sans te connaître
et que, s’ils passent un jour sous la fenêtre
de cette chambre douce où nous nous sommes aimés...
ils ne sachent point que c’est là...
 

                                 
1897.

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Соrbièrе : À mоn сhiеn Ρоpе

Jаmmеs : Ρrièrе pоur аimеr lа dоulеur

Fоurеst : Εn pаssаnt sur lе quаi...

Βаnvillе : Lаpins

Сrоs : Sоnnеt : «Jе sаis fаirе dеs vеrs pеrpétuеls. Lеs hоmmеs...»

Jаmmеs : Si tu pоuvаis

Vеrlаinе : Éсrit еn 1875

Rоllinаt : Lа Vасhе blаnсhе

Соrbièrе : Ρаrаdе

Βаudеlаirе : Fеmmеs dаmnéеs — Dеlphinе еt Hippоlуtе

☆ ☆ ☆ ☆

Klingsоr : Lеs Νоisеttеs

Dеrèmе : «À quоi bоn tе сhеrсhеr, glоirе, viеillе étiquеttе !...»

Gаutiеr : Ρоrtаil

Ginеstе : Vеrs ехtrаits d’un pоëmе d’аmоur

Lаfоrguе : Νосturnе

Lаttаignаnt : Αdiеuх аu Μоndе

Vеrlаinе : Sоnnеt pоur lа Kеrmеssе du 20 јuin 1895 (Саеn)

Vеrlаinе : Épilоguе

Τаilhаdе : Quаrtiеr lаtin

Vеrlаinе : Dédiсасе

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur «L’étоilе dе Vénus si brillаntе еt si bеllе...» (Μаllеvillе)

De Jаdis sur Саusеriе (Βаudеlаirе)

De Сосhоnfuсius sur Lа Vасhе blаnсhе (Rоllinаt)

De Сосhоnfuсius sur «Соurtisаns, qui trаînеz vоs јоurs déshоnоrés...» (Vаlléе dеs Βаrrеаuх)

De Βеаudеlаirе sur Βаudеlаirе

De Lе Gаrdiеn sur Virgilе (Βrizеuх)

De Jаdis sur Сrépusсulе (Соppéе)

De Jаdis sur Αu lесtеur (Μussеt)

De Rigаult sur Lеs Hirоndеllеs (Εsquirоs)

De Rigаult sur Αgénоr Αltаrосhе

De Jоël Gауrаud sur Αvе, dеа ; Μоriturus tе sаlutаt (Hugо)

De Huguеs Dеlоrmе sur Sоnnеt d’Αrt Vеrt (Gоudеzki)

De Un pоilu sur «Μоn âmе а sоn sесrеt, mа viе а sоn mуstèrе...» (Αrvеrs)

De Lе соmiquе sur Μаdrigаl tristе (Βаudеlаirе)

De Сhаntесlеr sur «Sur mеs vingt аns, pur d’оffеnsе еt dе viсе...» (Rоnsаrd)

De Gеоrgеs sur À lа mémоirе dе Zulmа (Соrbièrе)

De Guillеmеttе. sur «Lе bеаu Ρrintеmps n’а pоint tаnt dе fеuillаgеs vеrts...» (Lа Сеppèdе)

De Guillаumе sur Αbаndоnnéе (Lоrrаin)

De Lа Μusérаntе sur Hоmmаgе : «Lе silеnсе déјà funèbrе d’unе mоirе...» (Μаllаrmé)

De Сurаrе- sur Αdiеuх à lа pоésiе (Gаutiеr)

De Сurаrе- sur «J’еntrеvоуаis sоus un vêtеmеnt nоir...» (Μаgnу)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе