Francis Jammes

Le Deuil des primevères, 1901


Élégie quatrième


 
Quand tu m’as demandé de faire une élégie
sur ce domaine abandonné où le grand vent
fait bruire au ciel gris les bouleaux blancs et tristes,
j’ai revu, dans la verte ombre des fourrés humides,
une robe ennuyée avec de longs rubans.
 
Du parc gazonné, au froid soleil mort d’Octobre,
une Diane cassée montait comme un jet d’eau.
Les faux-pistachiers, les noisetiers rouges,
les vernis-du-Japon, les lauriers et les roses
faisaient vers l’horizon une allée triste et belle
où des vapeurs de bleu décoloraient le ciel.
 
La mort a revécu doucement dans mon âme.
J’ai songé à tous ceux qui habitèrent là,
aux enfants qui jouaient à tuer des lilas,
à l’aboiement de la cloche pour les repas,
et aux corbeaux croassant dans le ciel mou et gris
où crie la girouette à l’ouest, signe de pluie.
 
La jeune fille avait sa chambre au sud-est, vers
l’allée des ifs, non loin du vivier à l’eau verte.
Le mobilier de cette chambre était d’érable.
Un dé et des ciseaux luisaient sur une table,
et sur la glace bleue qui reflétait des feuilles
un trumeau réparé montrait des amours bleus.
 
On entendait un coup de fusil dans la plaine,
et la salle à manger avait des paravents.
Des oiseaux jaunes coloriaient les porcelaines.
Les déjeuners glacés des déclins de Septembre
étaient silencieux, ennuyés et sévères,
et quand la jeune fille descendait de sa chambre,
elle baisait au front le maniaque grand-père.
 
C’est sa robe, sans doute, que mon songe a rêvé
sur le banc que la mousse et l’humidité mordent.
Il est encore au fond de la plus noire allée,
parmi les aiguilles de pin flexibles et mortes.
C’est là que Célia, tristement accoudée,
venait au soleil pâle après les déjeuners.
 
Tu as voulu revoir, avec moi, la maison.
Tu savais mieux que moi l’histoire douloureuse
de cette Célia qui mourut de langueur,
qui se mourut d’un mal dont on cacha le nom,
d’un mal sur qui des bruits singuliers coururent,
mais que soigneusement les servantes ont tu.
 
Et nous sommes allés, sous la mort des feuillages,
jusqu’à cette fenêtre que nous avons ouverte
en attirant, du bois pourri, le fil de fer.
Nous nous sommes trouvés dans la cuisine noire,
si noire qu’on eût dit qu’il brûlait de la suie
dans le foyer glacé par un carré de nuit.
 
Les escaliers avaient des trous de moisissure.
De la rouille glacée poudrait les vieilles clefs
qu’on avait suspendues à côté des serrures.
Nous entendions de là le grand vent de l’allée,
ce vent si désolé du déclin des vacances,
gémir comme un roman parmi les sycomores
qui prennent en mourant la couleur de l’aurore.
 
Tu me dis : « C’est ici la chambre de Célia. »
Une glace cassée, prise à la boiserie,
la meublait seulement. Tu me dis : « Il y a
de singuliers sujets sur la tapisserie. »
C’étaient des chars romains qu’aimait le sombre Empire,
l’époque vicieuse où sous les repentirs,
la Nucingen trompait des amours politiques.
 
Tu repoussas un contrevent sur les glycines.
Là, sur le mur, dormait la cloche au timbre mort
que l’on sonnait jadis du seuil de la cuisine.
Tu tiras lentement le fil de cette cloche,
et sa voix de douleur, lente à se faire entendre,
pleura comme un grand deuil dans l’âme de la chambre.
 
Que la paix sur l’âme de Célia repose.
Je cueillerai, au parc où elle fut, des roses,
des abutilons roux et des lilas terrestres.
Je les déposerai, pieux, au pied du tertre
où elle fut ensevelie un jour d’Octobre.
Que la paix sur l’âme de Célia repose.
 

1898.

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