Francis Jammes


FINALE DU CANTIQUE DE LOURDES


 
Venez donc laver vos yeux
Tout brûlants du sel des larmes
Et vous rapprocher de ceux
Que la mort cueille chez eux
Ou bien là-bas sous les armes.
Écoutez les pures voix
Des sources qui sont à Lourdes.
Pauvre âme qui trouves lourde
En secret la triste croix,
Ah ! si lourde qu’elle soit,
La bonne Samaritaine,
Au blanc capulet de laine,
Bernadette à la fontaine,
En diminuera le poids.
Va donc vers cette eau sacrée
Où la douleur ulcérée
Qui ne se laissait pas voir
Relève son voile noir
Et découvre son visage
Que l’existence ravage.
Nul ne connaît la pitié,
S’il n’a vu sur la terrasse
Un pauvre couple qui passe
En laissant traîner ses pieds,
Et qui de cette eau s’approche,
En emplit un gobelet,
Et mêle à ceux de la roche
Ses pleurs qui vont y rouler :
C’est un père et une mère.
Ah ! ne me demandez pas
Ce que la voix de l’eau claire
Vient de leur confier tout bas.
Ils s’en vont, et, sur la pierre,
Prennent un humble repas.
Alors ces deux pauvres hères
À qui rien plus ne sourit
Se sourient parce qu’ils savent
Que c’est auprès de ce gave
Que s’ouvre le Paradis.
Nul ne connaît la tristesse
De celui que l’autre laisse,
Quand ensemble ils ont niché,
S’il n’a vu un jour l’épouse
Grave et de son deuil jalouse
De la roche s’approcher
Où le flot vient s’épancher.
C’est dans ce chemin qui mène
À cette même fontaine,
Ombreux et frais comme un puits,
Que tout son cœur fut séduit
— Oh ! qu’il en faut peu ! — à cause
De trois mots et d’une rose.
Qu’il est lointain ! Qu’il est près !
Ce temps où la jeune fille
Suspendait son bouquet frais
— Comme un bouquet suspendrait
Aussi bien la jeune fille... —
... Suspendait son bouquet frais
Comme un trophée à la grille !
Avait-elle remarqué
Au-dessus de ce bouquet
Les lamentables béquilles ?
Non, son cœur était bercé
Et il s’épanouissait
Oubliant que des misères
Se penchassent sur l’eau claire
À l’heure où deux fiancés
Buvaient dans le même verre.
Mais ce temps est bien fini :
L’un d’eux a quitté le nid,
Peut-être est-il mort en guerre ?
Et avec un orphelin
Elle refait le chemin
Et sent son cœur qui se serre.
Elle se redresse et boit
Comme au temps des fiançailles,
Et soudain elle tressaille :
Elle a reconnu la voix
Qui parle par la fontaine
Et qui rend douce sa peine :
Je suis toujours avec toi
Tant que tu diras : Je crois.
Nul ne connaît la faiblesse
S’il n’a pas vu cet enfant
Qui ne comprend pas comment
Il n’a plus une maman.
Où sont les chères caresses,
Si chères qu’on n’en sait pas
De plus chères ici-bas,
Même celles de papa
Quand sur son cœur il vous presse ?
... Non, non, ce n’est plus cela.
Ô l’absence maternelle
Autour de ces membres frêles !
Où sont, où sont ces baisers ?
Où donc se sont-ils posés ?
Est-ce qu’ils avaient des ailes ?
Dites-le nous, tourterelles !
Les avez-vous retrouvés
Dans la douceur des duvets ?
Oh ! que bien plutôt il meure,
Le petit qui, à cette heure
Du Pater et de l’Ave,
Quand l’angélus du soir pleure.
Ne ressent plus sur son front
Ce fort appuiement des lèvres
Qui calme toutes les fièvres,
Mères que nous vénérons !
Ces baisers faits de silence,
Qui sont le pain de l’enfance,
Ils s’en sont enfuis un soir
Que tout est devenu noir
Et la maman toute blanche.
Où sont-ils ? Sur quelles branches ?
Qui est-ce qui a brisé
Les ailes à ces baisers ?
L’enfant ne sait pas le dire,
Et il ne peut plus sourire.
Son père lui dit : « Ta maman
Est au Ciel. Et la fontaine
Vient du ciel. Petit, bois-en,
Tu n’auras plus tant de peine. »
Et alors le pauvre enfant
Sent la suave caresse
De l’eau sainte pénétrant
Son âme dans la détresse.
Cette eau chante : C’est maman
Qui t’embrasse là-dedans.
Nul ne sait la solitude
S’il n’a vu ceux qui n’ont point
Rencontré sur leur chemin
Quelqu’un qui leur prit la main
Et qui ont cette habitude
De n’avoir que du chagrin.
À personne ils ne réclament
Ce qu’on ne leur donne point :
Un peu d’âme pour leur âme.
Et l’homme ainsi isolé,
Ou la femme solitaire
Se sont toujours ressemblé :
Leur apparence est vulgaire,
Leurs pieds prennent la poussière,
Ils ont de pauvres cheveux,
Et, si l’on fixe leurs yeux,
On n’y voit point de lumière.
À quoi bon ? Quand on est deux
Les regards entre eux s’éclairent,
Mais les délaissés préfèrent
Souvent se cacher du feu.
Que leur reste-t-il ? l’eau claire
Et le pain du pauvre hère.
Quel pain ? Le pain quotidien
Qui fut pétri Jeudi-Saint,
Le Pain qui dort dans la grange
Près de l’âne et près du bœuf,
De la poule qui fait l’œuf
Et de l’encensoir des anges ;
Le Pain descendu du Ciel,
Le Pain du jour de Noël,
Le Pain que mon âme mange.
Cette eau pour les malheureux,
Dites-nous donc quelle est-elle ?
C’est une eau qui bat de l’aile,
Et prie et chante pour ceux
Qui tout seuls essuient leurs yeux :
C’est l’eau qu’a faite si claire
Bernadette la bergère,
L’eau qui fend le cœur des pierres
Et fait l’âme solitaire
L’épouse même de Dieu.
Et ceux, ô ma chère lyre
— Fais-toi douce pour ceux-là
Comme l’enfant qui soupire
Sous les touffes de lilas
Et qui ne sait pas nous dire
Le doux malaise qu’elle a —
Et ceux qu’un remords déchire :
Cet homme au masque si dur,
Cette femme à l’œil d’azur
Qui sécrète un froid délire ;
Ceux qui portent dans leur cœur
En apparence moqueur
La faute qui roidit l’âme ;
Ceux qui déjà dans leur chair
Portent la terrible flamme ;
Ceux que le luxe a couverts
Mais qui sentent un enfer,
Quand même, au fond de leur être ;
Ceux qui vivent dans la mort
Et qu’a rejetés le Maître :
Qu’ils conduisent leurs remords
Dans la paisible vallée
Où neige l’Immaculée
Dedans son nuage d’or.
Là, qu’ils confessent leurs crimes
En face des hautes cimes
Qui couvrent d’un blanc manteau
Le vide noir des abîmes
Où reposent les agneaux
Qui des loups furent victimes.
Qu’ils se laissent donc toucher !
Qu’ils s’agenouillent à terre
Et qu’ils disent : j’ai péché
Comme la femme adultère !
Aussitôt ils entendront
La fontaine en oraison
Faire jaser son eau claire
Avec l’accent du pardon.
Si graves que soient nos crimes,
Ils sont comme sur les cimes
Les neiges à l’orient :
Ils fondent en pleurs sublimes
Sous les pieds du Tout-Puissant.
 

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