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Clairières dans le Ciel
« Je fus à Hambourg quatre mois, puis à la Haye.
Je pris le paquebot pour Londre où j’arrivai
le 10 janvier 1705, après dix ans
et neuf mois d’absence — et, dès lors, me préparant
à un plus long voyage — à soixante-douze ans
d’une vie remplie de toutes sortes d’incidents.
J’avais été assez éprouvé pour connaître
le bonheur de finir ses jours dans la retraite. »
C’est ainsi que s’exprime, à la dernière page,
Robinson Crusoë. Un parfum de muscade
s’exhale de sa robe aux somptueux ramages.
L’orage au loin qui roule en bruit de caronade
fait trembler la Cité d’Albion. Et, dans l’image
que j’ai là sous les yeux, on voit le voyageur
méditer sur sa Bible et bénir le Seigneur.
Au milieu de la table est une longue vue
dont il guettait jadis l’empreinte des pieds nus.
Au mur sont accrochés le parasol de chèvre
et le bonnet de chèvre et l’arc avec les flèches,
la hache d’abordage et le sabre marin.
Ici le médaillon de Vendredi. Enfin,
placé contre la carte où est l’îlot désert,
dans sa cage empaillé un perroquet très vert.
Comme toi, Robinson, j’essuyai des tempêtes
et, comme toi, j’ai vu au-dessus de ma tête
la mer verser au ciel des flots couleur de plomb.
Et l’amour furieux qui balayait le pont
me jetait à genoux et sifflait. Crusoë !
Crusoë ! L’océan et l’amour sont pareils :
À l’un et l’autre il faut de desséchants soleils
qui creusent notre cœur ainsi qu’une coquille ;
il faut que les agrès grincent comme des filles,
et que la passion soit cette noire mer
qui monte et nous emplit avec son bruit amer.
Ah ! Vieil Anglais ! Tu fus cependant bien plus sage
que je ne fus, car où que tu fasses naufrage,
au Cap Bonne-Espérance ou à Juan Fernandez,
on te voit aussitôt suivi ou précédé
de ta malle toujours confortable et prudente.
J’aime ta poésie pratique et commerçante,
et j’apprécie beaucoup la veuve qui prit soin
de tous tes capitaux tant que tu fus au loin.
... C’est ce qui te permit de finir doucement
tes jours dans ce grisâtre et doux appartement
que je viens d’évoquer au début du poème.
Ah ! Tu n’oublias rien dans ton île, pas même
ton parasol et ton bonnet de peau de chèvre.
Ce que j’ai rapporté ? — me demanderas-tu, —
de cet îlot désert dont je suis revenu ?
Rien, ni une bouée ni une cage à poules.
Mais écoute comment je fus pris par la houle :
Ce fut au doux Avril, quand la mer du Printemps
s’ouvre à tous ces oiseaux, indiens de Ceylan,
qui plongent dans l’azur de nacre où sont les perles :
rouge-gorge, bulbul, fauvette, linot, merle.
On entendait briser les âmes des lilas
sur les coraux des pêchers roses des villas.
Je ne pensais point certe à ces autres coraux
où la Pérouse d’or, c’est à Vanikoro,
trouva la mort malgré son geste autoritaire.
L’amour semblait dormir et le ciel et la terre.
Douce comme une nuit des Nuits, la nuit tomba.
Mais bientôt le parfum des vergers s’exalta.
Alors, ô Robinson ! oubliant comme toi
les dangers que j’avais courus, n’écoutant pas
les conseils des aïeux qui rêvent dans leurs cadres,
ivre de mettre à flot une nouvelle escadre,
je dirigeai mon cœur affolé par l’amour
vers une île pensive et grave comme un jour.
L’île était enchantée et n’était qu’une femme.
La voix de ses oiseaux eut raison de mon âme.
D’autres m’avaient séduit par l’horreur des volcans.
J’aimai, ô Crusoë ! ces monts qu’un Yucatan
prolonge sous la mer pour former des Antilles.
Ma race a habité parmi ces jeunes filles
qui tiennent d’une main leur sein d’ombre et de feu
et qui de l’autre envoient de longs baisers d’adieu.
Ici, ce ne fut point le feu, ce fut la neige,
mais la neige impassible aux foudres qui l’assiègent,
neige dont les yeux clairs ont la calme passion
du feu qu’allume un pâtre au milieu des glaçons.
Et c’est l’île la plus terrible : ô Crusoë !
car c’est par sa froideur que l’on est enflammé.
Comment j’ai échappé aux dangers de cette île :
il faudrait pour cela que je fusse Virgile ;
car jamais tout entier l’océan n’égala
cette vague aux doux mouvements qui m’enlaça.
Maintenant, comme toi, ô Crusoë ! je pense
qu’il est bon de rêver de cela dans sa chambre.
Ma cafetière bout comme un roman anglais.
J’ai des lettres d’amour que j’entends murmurer
ainsi que murmurait l’Océan Pacifique
où tu avais conduit ton âme magnifique.
Repartirai-je un jour ? Je ne l’affirme pas.
J’eusse voulu pourtant encor nouer mes bras
à la blanche bouée que nous nommons la femme,
et revenir rieur parmi les hautes lames.
Tous les oiseaux de Mars me conseillent d’aimer.
Ce matin, au réveil, leurs chants neufs s’essayaient.
Un moineau insistait beaucoup. Que vais-je faire ?
Petits oiseaux, ô rouges-gorges de mon cœur,
je ne pourrais vous suivre ou, du moins, j’en ai peur.
Les buissons sont trop verts. Je vous attristerais...
Il faut laisser tomber l’ombre sur la forêt.

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