Jehan Rictus

Les Soliloques du Pauvre, 1897


Le Printemps


 

             
I — La Journée


 

i


 
Merl’ v’là l’ Printemps ! Ah ! salop’rie,
V’là l’ monde enquier qu’est aux z’abois
Et v’là t’y pas c’te putain d’ Vie
Qu’a r’biffe au truc encore eun’ fois !
 
La Natur’ s’achète eun’ jeunesse,
A s’ déguise en vert et en bleu,
A fait sa poire et sa princesse,
A m’ fait tarter, moi, qui m’ fais vieux.
 
Ohé ! ohé ! saison fleurie,
Comme y doit fair’ neuf en forêt !
V’là l’ mois d’ beauté, ohé Marie !
V’là l’ temps d’aimer, à c’ qu’y paraît !
 
Amour ! Lilas ! Cresson d’ fontaine,
Les palpitants guinch’nt en pantins,
Et d’ Montmertre à l’av’nue du Maine
Ça trouillott’, du côté d’ Pantin !
 
V’là les poèt’s qui pinc’nt leur lyre
(Malgré qu’y n’aient rien dans l’ fusil),
V’là les Parigots en délire
Pass’ qu’y pouss’ trois branch’s de persil !
 
L’est fini l’ temps des z’engelures,
Des taup’s a sort’nt avec des p’lures
Dans de l’arc-en-ciel agencées
De tous les tons, de tous les styles ;
 
Du bleu, du ros’, tout’s les couleurs ; 
Et ça fait croir’ qu’a sont des fleurs
Dont la coroll’ s’rait renversée
Et balad’rait su’ ses pistils.
 
 
 

ii


 
Pis v’là des z’éclairs, des z’orages
Et d’ la puïe qui vous tombe à siaux,
Rapport à d’ gros salauds d’ nuages
Qu’ont pas pitié d’ mes godillots.
 
Car c’t’ épatant, d’pis quéqu’s z’années,
Les saisons a sont comm’ pourries ; 
Semb’ que l’ Bon Guieu pass’ qu’on l’oublie
Pleur’ comm’ eun’ doche abandonnée ;
 
Et c’est affreux et si tell’ment
Malpropre, obscur et délétère,
Qu’on s’ figur’rait qu’ les z’éléments
Sont sous l’ régim’ parlementaire.
 
 
 

iii


 
Mais les salad’s a sort’nt de terre
Et les genss’ y sort’nt su’ l’ boul’vard.
Les flics sort’nt de leur caractère :
J’ vourais ben, moi, sortir d’ quéqu’ part !
 
L’ rupin qu’a z’eu des aventures
Regard’ c’ qui lui sort su’ la hure,
Et l’ pauvre avec mélancolie
Les punais’s sortir d’ son bois d’ lit.
 
Les marrogniers sont comm’ des folles, 
Et dans leurs branch’s et sous les toits
Ces vach’s de bécans batifolent
En gueulant plus fort qu’ des putois.
 
Les objets mêm’ les plus moraux,
Les pus vioqu’s, n’ont quét’ chos’ qui jase
Et gn’a pas jusqu’aux becs de gaz
Qui n’ont envie d’ finir poireaux !
 
V’là l’ Quatorz’ Julliet des z’asperges,
Des p’tits z’ozeaux et des hann’tons,
Et les bléchard’s, les veuv’s, les vierges
A z’ont mal au bout des tétons.
 
Voui, l’ v’là l’ Printemps, l’ marchand d’ rameaux ;
Y vient, y trott’, quoiqu’ rien n’ le presse,
« Par les sentiers remplis d’ivresse »,
Le v’là qui radin’, le chameau !
 
 
 

iv


 
Ah ! nom de Dieu, v’là qu’ tout r’commence.
L’Amour, y « gonfle tous les cœurs »,
D’après l’ chi-chi des chroniqueurs,
Quand c’est qu’y m’ gonflera... la panse ?
 
Quand c’est qu’y m’ foutra eun’ pelure,
Eun’ liquette, un tub’, des sorlots.
Si qu’a fait peau neuv’ la Nature,
Moi, j’ suis cor’ mis comme un salaud !
 
Mes chaussett’s ? C’est pus qu’ des mitaines !
Mes s’mell’s ? Des gueul’s d’alligators :
Ma reguingote a fait d’ la peine
Et mon phalzar, y m’ fait du tort !
 
Quant à mon bloum, ah ! parlons-en, 
Rien qu’ d’y penser ça m’ fout la flemme,
À côté d’ lui Mathusalem
N’est qu’un cynique adolescent.
 
C’te vach’-là m’ donn’ l’air ridicule,
Y m’ tomb’ su’ les yeux, m’ les rabat ;
Si mes esgourd’s le sout’naient pas
Y m’arriv’rait aux clavicules !
 
Avec ça l’ Glorieux m’ roussit l’ crâne
Et éclaire comm’ par calcul
Mes nipp’s couleur de pissat d’âne,
Les trous d’ mes coud’s et ceux d’ mon cul !
 
Ah ! ben il est frais l’ mois d’Avril,
Le v’là l’ temps des métamorphoses,
Moi, j’ chang’ pas d’ peau comm’ les reptiles,
J’ suis tous les Printemps la mêm’ chose.
 
N’empêch’ ! Je m’ sens des goûts d’ richesse,
J’ suis comm’ ça, moi, né élégant,
J’am’rais ben, moi, fair’ mon Sagan
Et mon étroit’ chez des duchesses !
 
Et m’ les baigner dans des étoffes,
Car pour moi, quand l’ turquois est gai,
La pir’ de tout’s les catastrophes
C’est d’êt’ mochard et mal fringué.
 
 
 

v


 
En attendant, les gas d’ la Haute,
(Ceuss’ qui nous sont dévoués l’Hiver)
Se caval’nt et vont s’ mett’ au vert ;
Si gn’a d’ la dèch’, c’est-y d’ leur faute ?
 
Sûr que non ! Y z’ont fait ripaille ; 
Mais, c’était pour les malheureux
Et y sont quasi su’ la paille,
À forc’ d’avoir carmé pour eux ;
 
On a guinché chez les comtesses,
On s’a empiffré aux buffets,
On s’a décoll’té jusqu’aux fesses,
Pour quêter comm’ Nini Buffet !
 
— Maint’nant, qu’y dis’nt, la Vie est belle,
Les pauvr’s y n’ont pus grand besoin
(Et l’ fait est que d’pis qu’y sont loin,
Gn’a pus qu’ du vent dans leurs poubelles !)
 
(Tout c’ mond’-là, mêm’ quand c’est sincère,
Y s’ figur’ pas qu’ la charité
Entretient la mendicité
Et fait qu’ perpétuer la misère.)
 
Aussi, moi, j’ m’en fous de leur galette,
Qu’y se l’enfonc’nt dans l’ troufignon,
Et ceuss’ qui viv’nt de leur pognon,
J’ les méprise ! — Y sont moins qu’ des bêtes !
 
 
 

vi


 
Tout’fois n’en rest’ des rigoleurs
Qui prenn’nt jour, pour pas tomber meule
Et s’ transmett’ des ros’s su’ la gueule :
Y z’appell’nt ça « la Fêt’ des Fleurs » !
 
Nom de d’là ! Si pourtant l’un d’ nous
(Histoire ed’ venger la faiblesse)
Leur éclaboussait leur noblesse
D’eun’ vieill’ pomme ou d’un trognon d’ chou...
 
(Ah ! ma chère ! Y aurait pas d’ police
Assez fort’ pour cet attentat
Et ça f’rait eune affair’ d’État.
Malheur ! Ousqu’alle est la Justice ?)
 
D’aut’s en pus d’ dix endroits d’ la Ville
Vont voir pendr’ des fil’s de croûtons
Par des peintr’s qui sont ben cent mille
(Et su’ tout c’ tas, gn’en a trois d’ bons !)
 
D’autr’s enquiquin’nt des canassons
Su’ des pist’s, des concours z’hippiques,
Auteuil-Longchamp ! C’est là qu’y sont
Tous les marlous d’ la République !
 
Oh ! là, ça pue bon l’écurie,
La sueur d’ jockeys et d’ bookmakers,
Là gn’a tous les Robert-Macaire
Qu’est la richess’ de ma Patrie !
 
Oh ! là gn’a d’ la gonzess’ dorée,
Du gibier d’ joie à peau nouvelle
Qui sent si bon et qu’est si belle
Qu’on s’en a des envies d’ pleurer.
 
(Car ça c’est pas pour nos rognons.)
 
Mais v’là quéqu’ chose en fil’s pressées
Qui vous r’pos’ l’œil des maquignons :
Ça c’est crémeux, frais et mignon,
C’est d’ la blancheur su’ la chaussée :
 
(Les v’là, les preumièr’s commugnions.)
Avec leurs petits compagnons,
A pass’nt les petit’s fiancées...
Oh ! c’ que c’est doux, c’ qu’y sont mignons !
 
(Et moi, j’ m’ennuie à la pensée
Qu’ la Vie n’ leur servira qu’ des gnons.)
 
 
 

vii 


 
C’ qu’y a cor’ dans la Capitale ?
Des cravailleurs... des enfermés,
Des genss qui n’a pas l’ droit d’aimer,
Et qu’ des clebs qui font du scandale !
 
Car à Paris quand r’vient l’ Printemps
Si l’Amour y tourn’ tout’s les têtes
Et si qu’y saoule un peu les gens
Y tracasse encor pus les Bêtes.
 
Les cadors d’ordinair’ si dignes
Tournent soudain pires que pires
C’est des boucs, des faun’s, des vampires
Qui z’ont l’ mépris d’ la feuille de figne.
 
Oh ! ceuss’-là minc’ de rigolade,
On s’en paye eun’ tranch’ chez les chiens :
Museaux dans l’ cul en enfilade,
Y fil’nt, y trott’nt, y connaiss’nt rien...
 
Leurs affair’s ? A sont leurs affaires :
Y prenn’nt tous la joie au sérieux,
C’est à croir’ qu’ dans la Vill’ Lumière
Le Printemps y soit fait qu’ pour eux !
 
Ah ! les maqu’reaux y sont pas d’ bois,
Et par meut’s entières aux z’abois,
En chapelets d’ chipolata,
Y s’ tord’nt, y gueul’nt, y s’ font du plat
 
Et jouent un jeu qui les enflamme.
(Caricoco, caricoco,
Et en avant les p’tits bécots
« À-qui-qui-p’lot’ra-vit’-sa-femme. »)
 
Leurs mariag’s sont pas spirituels 
Bien qu’y s’ consomm’nt dans un coup d’ vent,
C’est des « steeple-chas’s » émouvants,
Gn’a d’ quoi faire un Pari Mutuel !
 
Comment qu’ leurs patt’s sont pas usées !
Y font la pige aux canassons
Et aux meut’s de Madam’ d’Uzès
Voire à cell’s de Baudry d’Asson.
 
Des fois, y stopp’nt... et, pouf, les r’v’là
Qui se recaval’nt ventre à terre.
— Azor ! par-ci, Toto ! par-là,
S’égosill’nt leurs popiétaires.
 
Ah ! oui, j’ t’en fous ! Y montr’nt leurs s’melles,
Y sont quinze après eun’ fumelle,
La langu’ dehors depis l’ matin,
Comm’ des vieux après un trottin !
 
D’autr’s, rigolards et phizolofs,
Revenus des joies d’ici-bas
Et s’ gobant pus dans l’ célibat,
Prenn’nt le pavé en guis’ de schloff.
 
Les patt’s en l’air et l’ blair aux anges,
Y s’ usent eul’ râb’ su’ des cacas ;
Quant eun’ môm’ passe et qu’a voit ça
A dit : Mon guieu ! Qué mœurs étranges !
 
(Mais quoi qu’on dise et quoi qu’on gronde,
Le Printemps pour tous, c’est l’ Printemps,
Et j’ connais pus d’eun’ fill’ du monde
Qui n’am’rait ben d’en faire autant.)
 
Pourtant, vrai ! les clebs, y m’ dépass’nt :
Chez eux, ça coûte rien la « passe ».
« Saluez ! c’est l’Amour qui passe ! »
Y s’ fout’nt de tout, ces salauds-là !
 
Hé, M’am’ Pudeur, voilez vot’ face, 
Vertu, Moral’ ! Ç’ s’rait-y qu’ des mots ?
M’sieur Bérenger ! Faurait qu’on fasse
Des claqu’-dents pour les animaux !
 
 

             
II — Le Furtif et le Mystérieux


 

viii


 
À présent rappliqu’ le Furtif
Mossieu l’ Rêveur, dit Crépuscule,
Les cravailleurs rentr’nt et s’ bousculent
C’est l’heure de l’apéritif !
 
Les pense-à-rien, les crache-impôts
Rumin’nt par tas noirs aux terrasses,
Eun’ bris’ d’amour leur fait la grâce
Ed’ fraîchir un peu leurs tronch’s de veaux.
 
Les bras ballants et la voix rêche,
Par group’s, au coin des carrefours
Populo gouale ses amours
Et l’ plaisir d’aimer... dans la dèche !
 
(Enfin tant pis — deux ronds d’ perlo,
Trois sous d’ liqueur, deux sous d’ mensonge,
Deux ronds d’ musique et un sou d’ songe...
Y s’ content’ de rien, Populo !)
 
(Et ses Dimanch’s, donc, quelle affaire !)
C’est là qu’ faut voir l’ lion populaire
Balader ses vieux testicules
(Qu’auraient ben besoin d’un coup d’ fion),
 
Et s’ tasser dans des véhicules
Mal foutus, étroits, mal crépis
Sous l’œil de simili-troufions
Qu’y z’ont des galons au képi !
 
Malheur ! lui qu’ a pris la Bastille, 
Y n’ prend pus que l’ tram’ du mêm’ nom,
Et y n’ prend pus d’ nombreux canons
Que chez l’ bistrot où qu’y croustille.
 
L’ Dimanche, y va à la campagne
Chercher des trous et des p’tits coins
Pour contenter ses p’tits besoins
Et engrosser ses pauv’s compagnes
 
Loin des yeux de l’autorité !
(Tout’s ses audac’s ont l’ mêm’ calibre,
C’est sa magnère à c’ peuple libre
De faire acte de liberté !)
 
 
 

ix


 
Mais v’là qu’arrive l’heur’ de s’en j’ter :
Dehors, aux tables des gargotes,
L’ Fauv’ Souverain s’empiffre et rote
Avec force et tranquillité,
 
Tandis qu’ les tram’s jouent d’ la trompette
(Quand c’est qu’y joueront du hautbois !)
Et qu’ dans leurs costum’s de lopettes
Les bicycliss’s y vont au Bois.
 
 
 

x


 
J’ vas vous en foutr’, moi, des romances,
Du vague à l’âme et des primeurs,
Tout l’ monde est pas heureux en France,
Gn’en a qui sont d’ mauvaise humeur.
 
Avant d’ sombrer au coin d’eun’ rue,
(Mézigue, un quasi-bachelier ! ! !)
L’ bonheur partout et, la nuit v’nue,
Sûr que j’ vas m’ mett’ à aboyer...
 
 
 

xi


 
Bon ! à présent quoi c’est qu’embaume ?
C’est l’ Mystérieux, c’est l’ Consolant,
L’ Soir endormeur des pauv’s tits mômes,
Qui s’ traîne en douce et à la flan.
 
L’ Flamboyant flanche et va s’ plumer,
Et la preumière Étoile a brille
Comme un regard de pauvre fille
Dont l’amour s’rait pas estimé.
 
J’ vas pas pus loin, mon tas chancelle,
Mes paturons y sont trop las,
C’pendant tout vit, éclat’, ruisselle,
Ça sent la vierge et les lilas !
 
V’là la Négress’, les lamp’s s’allument,
Tous les bécans sont au pagnier,
Sûr que j’ vas m’ planquer su’ l’ bitume,
(Gn’a qu’eun’ façon d’êt’ printanier).
 
L’Existence est comm’ démanchée,
Tout vous a un air innocent
Et y gn’a pas jusqu’au croissant
Qui ne vous prenn’ des airs penchés !
 
Oh ! que c’est mignon les lueurs
Qu’on voit partout superposées
À chaque étage, à tout’s croisées,
(Sûr, que ce soir gn’a qu’ du bonheur !)
 
C’est des abat-jour transparents,
Cœurs en fafiots brûlants d’ tendresse
(Oh ! les ceuss qui, ce soir d’ivresse,
Ont pas d’ chérie et pas d’ parents !)
 
V’là des insecqu’s par tourbillons,
Qui, dès qu’y sont nés, lâch’nt la rampe,
Pis des phalèn’s, des papillons
Qui vont s’ rôtir à tout’s les lampes,
 
Et j’ me figur’ qu’ c’est mes désirs
(Lesquels n’ont guère eu l’ temps d’ moisir)
Qui vont itou se griller l’aile
Aux clartés roides du Réel.
 
Des Enlacés pass’nt deux par deux
(Comm’ la Mort toujours près d’ la Vie)
Y m’ frôl’nt, y vont — je m’ fais des ch’veux
Car moi j’ suis seul et ça m’ennuie,
 
Mais l’ ciel s’ met eun’ si bell’ liquette,
L’ensemble il a l’air si joyeux,
Y fait si doux, y fait si chouette,
Qu’ ça s’rait p’-têt’ vrai qu’y a un Bon Guieu !
 
 

 

III — Prière


 

xii


 
Oh ! mon Guieu, si vous existez,
Fait’s-moi vot’ pus gracieux sourire,
J’en ai gros su’ l’ cœur à vous dire,
J’ suis en vein’ de sincérité !
 
J’ai été l’ môme el’ l’ pauvr’ clampin,
L’ loupiot d’ Paris qu’ la purée berce
Et qu’a trimé dur dans « l’ Commerce »,
Pour eune apparenc’ de bout d’ pain !
 
(Aussi vrai, c’ que j’ les ai dans l’ nez,
Ces muffs qui, sous l’ nom d’ « concurrence »,
Ont créé eun’ sourc’ de souffrances
Un genr’ légal d’assassiner !)
 
Or, sous c’te garc’ de République,
L’ printemps d’ ma vie y fut raté,
Car l’ Pauvre y n’a d’aut’ liberté,
Qu’y masse ou pas, d’ crever phtisique.
 
Seigneur ! Rendez-moi mes vingt sous,
Car j’ai passé ma bell’ jeunesse
À m’ voir pousser des dents d’ sagesse,
Quand j’avais rien à m’ fout’ dessous.
 
Des gras m’ont dit : — Toi, t’as d’ la veine,
T’ es jeun’, t’ es fort, ça s’ra ardu,
Mais tu r’prendras l’Alsac’-Lorraine
(Comm’ si c’tait moi qui l’a perdue !)
 
(D’jà ma daronn’ m’avait battu,
L’est donc venu l’ tour d’ la Patrie
Qui m’a r’passé aux poings d’ la Vie ;
Ces trois femm’s-là s’ sont entendu.)
 
J’ai fait tous les méquiers d’esclave,
C’pendant j’ai jamais pu gagner
Ma boustifaille et mon loyer,
À présent, m’ v’là, j’ suis eune épave.
 
J’ai l’ poil tern’ des bêt’s mal nourries,
La dèch’ m’a fait la gueul’ flétrie,
Ma jeuness’ reste étiolée...
J’ pourrai jamais m’en consoler
 
Mêm’ si qu’un jour j’ tournais au riche,
Par un effet de vot’ bonté,
Ce jour-là, j’ f’rai mett’ eun’ affiche :
« On cherche à vendre un cœur gâté. »
 
Mes poteaux ? Combien m’ont trahi !
Pourtant m’en rest’ quéqu’s-uns d’ fidèles,
Mais pour la mouïse y m’ gagn’nt la belle
C’est comme un syndicat d’ faillis.
 
Et l’ meilleur ? Il a peur d’ comprendre.
Aucun avec moi n’ veut descendre
Au fond d’ l’égout d’ mon désespoir
Où d’jà mon propre pas y glisse.
 
Pour s’en r’venir d’ sercher la gloire,
La Vérité et la Justice,
La palme, le glaive et le miroir
Et la scionnée du sacrifice,
 
Des Amours mignons m’ont pâli
Et la Vie les a massacrés,
Mes mains les ont ensevelis,
Mes yeux les ont beaucoup pleurés.
 
Comm’ j’ pouvais pas m’ faire à la haine,
J’en ai longtemps hurlé ma peine,
Comm’ le soir hurle su’ la Seine
La tristesse d’un remorqueur ;
 
Et j’en saigne à ce point encore
Qu’y m’ sembl’ que quand j’ me remémore
Tout c’ pauvre tas de petits morts
(Mon cimetière d’innocents),
 
Y m’ sembl’ qu’y m’ vient un gros flot d’ sang
Qui m’ prend l’ gaviot, m’emplit la bouche
Et m’ fait l’ jacqu’ter rouge et farouche.
Et ce sang-là m’ jaillit du cœur !
 
 
 

xiii 


 
Seigneur, mon Guieu ! j’suis près d’ périr
Et v’là ma peine elle est ben vraie,
Quand un malade il a eun’ plaie
Faut-y rien faire ou la guérir ?
 
Et j’ me vois comme à l’ambulance
Du champ d’ bataill’ de mes douleurs,
Faut-y toujours téter ses pleurs
Et bouffer l’ pain d’ l’obéissance ?
 
Seigneur ! au respect que j’ vous dois,
Le vent y m’ souff’ dans la braguette,
Et mes sorlots sont en goguette
Au point qu’y découvr’nt mes dix doigts !
 
L’homm’ qui vous parle a ben souffert,
Son blair baladait sa roupie,
Tout en grelottant cet hiver ;
Y se r’biffe à la fin des fins :
 
Lui suffisait pas d’ crever d’ faim
(Bien qu’ beaucoup bouff’nt dans l’Univers),
V’là-t-y pas qu’il a la pépie,
Et v’là-t’y pas qu’a geint sa chair !
 
Ce soir l’ Printemps m’ soûle à son tour
(Mon sang ça n’est pus d’ l’eau d’ lessive),
J’ai des bécots plein les gencives,
Et j’ai les rognons pleins d’amour !
 
 
 

xiv


 
Hélas ! j’ l’ sais ben qu’ c’est la fête
Et que l’ temps d’aimer il est v’nu,
Qu’y f’rait mêm’ bon d’aller tout nu
Avec au bras eun’ gigolette,
 
Pour fair’ la culbut’ dans les foins
Sans culbutants et sans témoins !
Mais outr’ que j’ suis trop mal frusqué
J’ai pas d’ pèze pour en embarquer,
 
Aucune a vourait d’ ma tristesse :
Seigneur ! Vous avez d’ l’instruction
Porquoi qu’y en a qu’ ont des maîtresses
Malgré qu’y n’aient pas d’ position ?
 
J’am’rais ben moi aussi, mon Guieu,
Avec les gas qui sont au sac
(Sans pour ça m’ fair’ mignonne ou mac)
Vivre en donzelle et en joyeux !
 
Et m’ les traîner dans des bagnoles
Pour m’ foutre avec euss des torgnoles
À coup d’ bouquets d’ fleurs su’ l’ citron
(Mais v’là ! y s’ trouv’ que j’ai pas l’ rond !)
 
J’ suis l’ fils des vill’s, non d’ mon village,
Si j’ai des envies, des besoins,
C’est la faute aux grands magasins,
À leurs ménifiqu’s étalages.
 
 
 

xv


 
Mais la nuit s’ fait d’ pus en pus douce,
Seigneur ! guettez pour l’ vagabond
Qu’est forcé d’ouvrir l’œil et l’ bon,
Rapport aux mectons de la Rousse.
 
On entend geindr’ le boulanger
Comm’ si qu’y s’rait près d’ son trépas
Et ses soupirs me font songer
Qu’y fait du pain où j’ mordrai pas.
 
(Quoi y faut dir’ ? Quoi y faut faire ?
J’ai mêm’ pus la force de pleurer.
J’ sais pas porquoi j’ suis su’ la Terre
Et j’ sais pas porquoi j’ m’en irai !)
 
À travers l’air, par des persiennes,
N’y vient des voix d’ musiciennes,
Qu’on croirait sortir d’ mon Sensible
Quand j’ vous réclam’ mon essentiel,
 
Ou ben c’est putôt d’ vos Archanges
Qu’ont p’têt’ perdu leur fleur d’orange
Et qui s’ désol’nt dans l’Invisible
D’avoir été sacqués d’ vot’ ciel !
 
Oh ! Seigneur, sans vous commander,
V’là qu’ ça m’ reprend, gn’a pas d’offense,
J’ vourais comm’ dans ma p’tite enfance
Coller mon cib su’ deux nénés !
 
Oh ! deux bras frais qui m’am’raient bien
Et ça n’ s’rait-y qu’ dans un boxon,
La pus moche, la pus chausson
(Mais y faurait qu’ ça m’ coûte rien !)
 
 
 

xvi


 
Seigneur mon Guieu, sans qu’ ça vous froisse,
J’ vous tends mon cœur, comm’ la Pucelle,
Et pis mes bras chargés d’angoisse,
Lourds du malheur universel !
 
Car si j’étais seul à la dure
Je n’ vous pos’rais pas tant d’ porquois,
Mais l’ pus affreux de l’aventure
C’est qu’y sont des meillons comm’ moi !
 
L’Homme est pas fait pour la misère
Et contrarier ses Beaux Désirs,
Ni pour qu’ ses frangins l’ forc’nt à faire
Des cravails noirs et sans plaisir.
 
Car y s’enferm’ dans des usines
Des quarante et des cinquante ans,
Dans des bureaux, des officines,
Alors qu’ les cieux sont miroitants.
 
Oh ! mon Guieu ! Si vous existez,
Donnez-nous la moell’ d’être libres
Et d’ remett’ tout en équilibre,
Suivant la grâce et la bonté !
 
La liberté... la liberté !
Faites-nous comme aux hirondelles,
Donnez-nous du pain et des ailes,
La liberté... la liberté !
 
 
 

xvii


 
Et quant à moi pour le présent
J’ vourais que mes faims soy’nt assouvies,
J’ veux pus marner, j’ veux viv’ ma vie
Et tout d’ suite et pas dans dix ans !
 
Car c’ soir j’ai comme un r’gain d’ jeunesse
Un tout petit, oh ! bien petit,
Et si ce soir j’ sens ma détresse
Demain je r’tomb’rai abruti !
 
V’là Lazare qui veut s’couer sa cendre
Et flauper l’ Monde à coups d’ linceul !
La liberté où j' vais la prendre !
J’ vas êt’ mon Bon Guieu moi tout seul !
 
J’ suis su’ la Terr’, c’est pour y vivre,
J’ai des poumons pour respirer,
Des yeux pour voir, non pour pleurer,
Un cerveau pour lir’ tous les livres,
 
Un estomac pour l’ satisfaire,
Un cœur pour aimer, non haïr,
Des mains pour cueillir le plaisir
Et pas turbiner pour mes frères !
 
Soupé des faiseurs de systèmes,
Ces économiss’s « distingués »,
Des f’seurs de lois qui batt’nt la flemme
(Tout’ loi étrangle eun’ liberté !)
 
Soupé des Rois, soupé des Maîtres,
Des Parlements, des Pap’s, des Prêtres.
(Et comm’ j’ai pas d’aut’ bien qu’ ma peau,
Il est tout choisi mon drapeau !)
 
Soupé des vill’s, des royaumes
Où la Misèr’ fait ses monômes,
Soupé de c’ qu’ est civilisé
Car c’est l’ malheur organisé !
 
Nos pèr’s ont assez cravaillé
Et bien assez égorgillé !
L’Homm’ de not’ temps faut qu’y s’ arr’pose
Et que l’Existenc’ lui tourne en rose.
 
Oh ! mon Guieu, si vous existez,
Donnez-nous la forc’ d’être libres
Et que mes souhaits s’accomplissent,
 
Car au Printemps, saison qu’ vous faites 
Alorss que la Vie est en fête,
Y s’rait p’-têt’ ben bon d’être eun’ bête
Ou riche et surtout bien aimé.
 
(Ça s’rait ben bon, si c’ n’est justice !)
 

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