|
Fables choisies mises en vers [Livres VII-XI], 1678
Deux Pigeons s’aimaient d’amour tendre.
L’un d’eux s’ennuyant au logis
Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en lointain pays.
L’autre lui dit : Qu’allez-vous faire ?
Voulez-vous quitter votre frère ?
L’absence est le plus grand des maux :
Non pas pour vous, cruel. Au moins, que les travaux,
Les dangers, les soins du voyage,
Changent un peu votre courage.
Encor si la saison s’avançait davantage !
Attendez les zéphyrs. Qui vous presse ? Un Corbeau
Tout à l’heure annonçait malheur à quelque Oiseau.
Je ne songerai plus que rencontre funeste,
Que faucons, que réseaux. Hélas ! dirai-je, il pleut :
Mon frère a-t-il tout ce qu’il veut,
Bon souper, bon gîte, et le reste ?
Ce discours ébranla le cœur
De notre imprudent voyageur ;
Mais le désir de voir et l’humeur inquiète
L’emportèrent enfin. Il dit : Ne pleurez point :
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite ;
Je reviendrai dans peu conter de point en point
Mes aventures à mon frère.
Je le désennuierai : quiconque ne voit guère
N’a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d’un plaisir extrême.
Je dirai : J’étais là ; telle chose m’advint ;
Vous y croirez être vous-même.
À ces mots en pleurant ils se dirent adieu.
Le voyageur s’éloigne ; et voilà qu’un nuage
L’oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s’offrit, tel encor que l’orage
Maltraita le Pigeon en dépit du feuillage.
L’air devenu serein, il part tout morfondu,
Sèche du mieux qu’il peut son corps chargé de pluie,
Dans un champ à l’écart voit du blé répandu,
Voit un Pigeon auprès : cela lui donne envie ;
Il y vole, il est pris : ce blé couvrait d’un las
Les menteurs et traîtres appas.
Le lacs était usé : si bien que de son aile,
De ses pieds, de son bec, l’Oiseau le rompt enfin.
Quelque plume y périt ; et le pis du destin
Fut qu’un certain Vautour à la serre cruelle
Vit notre malheureux qui, traînant la ficelle
Et les morceaux du lacs qui l’avait attrapé,
Semblait un forçat échappé.
Le Vautour s’en allait le lier, quand des nues
Fond à son tour un Aigle aux ailes étendues.
Le Pigeon profita du conflit des voleurs,
S’envola, s’abattit auprès d’une masure,
Crut pour ce coup que ses malheurs
Finiraient par cette aventure ;
Mais un fripon d’enfant (cet âge est sans pitié)
Prit sa fronde, et du coup tua plus d’à moitié
La Volatile malheureuse,
Qui, maudissant sa curiosité,
Traînant l’aile, et tirant le pied,
Demi-morte et demi-boiteuse,
Droit au logis s’en retourna.
Que bien que mal elle arriva,
Sans autre aventure fâcheuse.
Voilà nos gens rejoints ; et je laisse à juger
De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.
Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ?
Que ce soit aux rives prochaines ;
Soyez-vous l’un à l’autre un monde toujours beau,
Toujours divers, toujours nouveau ;
Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste.
J’ai quelquefois aimé ; je n’aurais pas alors
Contre le Louvre et ses trésors,
Contre le firmament et sa voûte céleste,
Changé les lois, changé les lieux,
Honorés par les pas, éclairés par les yeux
De l’aimable et jeune bergère
Pour qui sous le fils de Cythère,
Je servis engagé par mes premiers serments.
Hélas ! Quand reviendront de semblables moments ?
Faut-il que tant d’objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète ?
Ah ! si mon cœur osait encor se renflammer !
Ne sentirai-je plus de charme qui m’arrête ?
Ai-je passé le temps d’aimer ?

Commentaire (s)
Déposé par Christian le 24 mai 2014 à 12h53Amants heureux amants
vous voulez voyager ?
Que ce soit aux rives prochaines
Soyez-vous l’un à l’autre
un monde - La Fontaine [Lien vers ce commentaire]
Votre commentaire :
|
Mon florilège
(Tоuriste)
(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)
Compte lecteur
Se connecter
Créer un compte
Agora
Évаluations récеntes☆ ☆ ☆ ☆ ☆Du Βеllау : Épitаphе d’un pеtit сhiеn
Αpоllinаirе : Μаi
Régniеr : Villе dе Frаnсе
Соppéе : Τristеmеnt
Τоulеt : «Ô јоur qui mеurs à sоngеr d’еllе...»
Соppéе : «Lе sоir, аu соin du fеu, ј’аi pеnsé biеn dеs fоis...»
Rоnsаrd : «Соmmе un Сhеvrеuil, quаnd lе printеmps détruit...»
Régniеr : Villе dе Frаnсе
Sigоgnе : «Се соrps défiguré, bâti d’оs еt dе nеrfs...»
Rоnsаrd : «Соmmе un Сhеvrеuil, quаnd lе printеmps détruit...» ☆ ☆ ☆ ☆Vеrlаinе : Lеs Lоups
Αpоllinаirе : Μаi
Ρеllеrin : L’Αutоbus ivrе
Rоnsаrd : «Yеuх, qui vеrsеz еn l’âmе, аinsi quе dеuх Ρlаnètеs...»
Fоrt : Lе Diаblе dаns lа nuit
Τоulеt : «Ιl plеuvаit. Lеs tristеs étоilеs...»
Τоulеt : «Νоus јеtâmеs l’аnсrе, Μаdаmе...»
Cоmmеntaires récеnts
De Сосhоnfuсius sur Αdiеuх à lа pоésiе (Gаutiеr) De Сurаrе- sur «J’еntrеvоуаis sоus un vêtеmеnt nоir...» (Μаgnу) De Сurаrе- sur «Се соrps défiguré, bâti d’оs еt dе nеrfs...» (Sigоgnе) De Сосhоnfuсius sur «Quаnd lе grаnd œil du Сiеl tоurnоуаnt l’hоrizоn...» (Νuуsеmеnt) De Сосhоnfuсius sur Sоnnеt ivrе (Riсhеpin) De Сurаrе- sur Lе Sоnnеur (Μаllаrmé) De Jаdis sur «Viсtоriеusеmеnt fui lе suiсidе bеаu...» (Μаllаrmé) De Gеоrgеs Lеmаîtrе sur «Lе sоir, аu соin du fеu, ј’аi pеnsé biеn dеs fоis...» (Соppéе) De Jаdis sur Lе Vœu suprêmе (Lесоntе dе Lislе) De Jаdis sur Sоnnеt d’Αutоmnе (Βаudеlаirе) De Сhristiаn sur «J’еntrаis сhеz lе mаrсhаnd dе mеublеs, еt là, tristе...» (Νоuvеаu) De Ρépé Hаsh sur «Сеpеndаnt qu’аu pаlаis dе prосès tu dеvisеs...» (Du Βеllау) De Сurаrе_ sur Sоnnеt : «Quаnd је rеpоsеrаi dаns lа fоssе, trаnquillе...» (Gоudеаu) De Сurаrе_ sur Lе Τоmbеаu dе Сhаrlеs Βаudеlаirе (Μаllаrmé) De Vinсеnt sur Τоmbеаu du Ρоètе (Dеubеl) De Xi’аn sur «Μоn âmе pаisiblе étаit pаrеillе аutrеfоis...» (Τоulеt) De Lа Μusеrаntе sur Соntrе Ligurinus : «Τоut lе mоndе tе fuit...» (Dubоs) De Vinсеnt sur «Un sоir, lе lоng dе l’еаu, еllе mаrсhаit pеnsivе...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе) De Xi’аn sur Lе Суgnе (Rеnаrd) De Xi’аn sur «Sаintе Τhérèsе vеut quе lа Ρаuvrеté sоit...» (Vеrlаinе) De Rоzès sur Lе Сinémа (Siсаud)
Flux RSS...
Ce site
Présеntаtion
Acсuеil
À prоpos
Cоntact
Signaler une errеur
Un pеtit mоt ?
Sоutien
Fаirе un dоn
Librairiе pоétique en lignе

|