Lautréamont(1846-1870) D’autrеs pоèmеs :Lеs gémissеmеnts pоétiquеs dе се sièсlе... Ιl у еn а qui éсrivеnt pоur rесhеrсhеr lеs аpplаudissеmеnts humаins... J’étаblirаi dаns quеlquеs lignеs соmmеnt Μаldоrоr... Lесtеur, с’еst pеut-êtrе lа hаinе quе tu vеuх quе ј’invоquе... Ρlût аu сiеl quе lе lесtеur... Lеs mаgаsins dе lа ruе Viviеnnе... Αvаnt d’еntrеr еn mаtièrе, је trоuvе stupidе... оu еncоrе :Οn dоit lаissеr pоussеr sеs оnglеs pеndаnt quinzе јоurs... Lа Sеinе еntrаînе un соrps humаin... Jе mе prоpоsе, sаns êtrе ému, dе déсlаmеr... Сhаquе nuit, à l’hеurе оù lе sоmmеil...
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LautréamontLes Chants de Maldoror, 1869 FIN DU QUATRIÈME CHANTChant cinquième
Que le lecteur ne se fâche pas contre moi, si ma prose n’a pas le
bonheur de lui plaire. Tu soutiens que mes idées sont au moins
singulières. Ce que tu dis là, homme respectable, est la vérité ; mais,
une vérité partiale. Or, quelle source abondante d’erreurs et de
méprises n’est pas toute vérité partiale ! Les bandes d’étourneaux ont
une manière de voler qui leur est propre, et semble soumise à une
tactique uniforme et régulière, telle que serait celle d’une troupe
disciplinée, obéissant avec précision à la voix d’un seul chef. C’est à
la voix de l’instinct que les étourneaux obéissent, et leur instinct les
porte à se rapprocher toujours du centre du peloton, tandis que la
rapidité de leur vol les emporte sans cesse au delà ; en sorte que cette
multitude d’oiseaux, ainsi réunis par une tendance commune vers le même
point aimanté, allant et venant sans cesse, circulant et se croisant en
tous sens, forme une espèce de tourbillon fort agité, dont la masse
entière, sans suivre de direction bien certaine, paraît avoir un
mouvement général d’évolution sur elle-même, résultant des mouvements
particuliers de circulation propres à chacune de ses parties, et dans
lequel le centre, tendant perpétuellement à se développer, mais sans
cesse pressé, repoussé par l’effort contraire des lignes environnantes
qui pèsent sur lui, est constamment plus serré qu’aucune de ces lignes,
lesquelles le sont elles-mêmes d’autant plus, qu’elles sont plus
voisines du centre. Malgré cette singulière manière de tourbillonner,
les étourneaux n’en fendent pas moins, avec une vitesse rare, l’air
ambiant, et gagnent sensiblement, à chaque seconde, un terrain précieux
pour le terme de leurs fatigues, et le but de leur pèlerinage. Toi, de
même, ne fais pas attention à la manière bizarre dont je chante chacune
de ces strophes. Mais, sois persuadé que les accents fondamentaux de
la poésie n’en conservent pas moins leur intrinsèque droit sur mon
intelligence. Ne généralisons pas des faits exceptionnels, je ne demande
pas mieux : cependant mon caractère est dans l’ordre des choses
possibles. Sans doute, entre les deux termes extrêmes de ta littérature,
telle que tu l’entends, et de la mienne, il en est une infinité
d’intermédiaires et il serait facile de multiplier les divisions ; mais,
il n’y aurait nulle utilité, et il y aurait le danger de donner quelque
chose d’étroit et de faux à une conception éminemment philosophique, qui
cesse d’être rationnelle, dès qu’elle n’est plus comprise comme elle a
été imaginée, c’est-à-dire avec ampleur. Tu sais allier l’enthousiasme
et le froid intérieur, observateur d’une humeur concentrée ; enfin, pour
moi, je te trouve parfait... Et tu ne veux pas me comprendre ! Si tu
n’es pas en bonne santé, suis mon conseil (c’est le meilleur que je
possède à ta disposition), et va faire une promenade dans la campagne.
Triste compensation, qu’en dis-tu ? Lorsque tu auras pris l’air, reviens
me trouver : tes sens seront plus reposés. Ne pleure plus ; je ne voulais
pas te faire de la peine. N’est-il pas vrai, mon ami, que, jusqu’à un
certain point, ta sympathie est acquise à mes chants ? Or, qui t’empêche
de franchir les autres degrés ? La frontière entre ton goût et le mien
est invisible ; tu ne pourras jamais la saisir : preuve que cette
frontière elle-même n’existe pas. Réfléchis donc qu’alors (je ne fais
ici qu’effleurer la question) il ne serait pas impossible que tu eusses
signé un traité d’alliance avec l’obstination, cette agréable fille du
mulet, source si riche d’intolérance. Si je ne savais pas que tu n’étais
pas un sot, je ne te ferais pas un semblable reproche. Il n’est pas
utile pour toi que tu t’encroûtes dans la cartilagineuse carapace d’un
axiome que tu crois inébranlable. Il y a d’autres axiomes aussi qui sont
inébranlables, et qui marchent parallèlement avec le tien. Si tu as un
penchant marqué pour le caramel (admirable farce de la nature), personne
ne le concevra comme un crime ; mais, ceux dont l’intelligence, plus
énergique et capable de plus grandes choses, préfère le poivre et
l’arsenic, ont de bonnes raisons pour agir de la sorte, sans avoir
l’intention d’imposer leur pacifique domination à ceux qui tremblent de
peur devant une musaraigne ou l’expression parlante des surfaces d’un
cube. Je parle par expérience, sans venir jouer ici le rôle de
provocateur. Et, de même que les rotifères et les tardigrades peuvent
être chauffés à une température voisine de l’ébullition, sans perdre
nécessairement leur vitalité, il en sera de même pour toi, si tu sais
t’assimiler, avec précaution, l’âcre sérosité suppurative qui se dégage
avec lenteur de l’agacement que causent mes intéressantes élucubrations.
Eh ! quoi, n’est-on pas parvenu à greffer sur le dos d’un rat vivant la
queue détachée du corps d’un autre rat ? Essaie donc pareillement de
transporter dans ton imagination les diverses modifications de ma raison
cadavérique. Mais, sois prudent. À l’heure que j’écris, de nouveaux
frissons parcourent l’atmosphère intellectuelle : il ne s’agit que
d’avoir le courage de les regarder en face. Pourquoi fais-tu cette
grimace ? Et même tu l’accompagnes d’un geste que l’on ne pourrait imiter
qu’après un long apprentissage. Sois persuadé que l’habitude est
nécessaire en tout ; et, puisque la répulsion instinctive, qui s’était
déclarée dès les premières pages, a notablement diminué de profondeur,
en raison inverse de l’application à la lecture, comme un furoncle qu’on
incise, il faut espérer, quoique ta tête soit encore malade, que ta
guérison ne tardera certainement pas à rentrer dans sa dernière période.
Pour moi, il est indubitable que tu vogues déjà en pleine convalescence ;
cependant ta figure est restée bien maigre, hélas ! Mais... courage ! il
y a en toi un esprit peu commun, je t’aime, et je ne désespère pas de
ta complète délivrance, pourvu que tu absorbes quelques substances
médicamenteuses, qui ne feront que hâter la disparition des derniers
symptômes du mal. Comme nourriture astringente et tonique, tu arracheras
d’abord les bras de ta mère (si elle existe encore), tu les dépèceras en
petits morceaux, et tu les mangeras ensuite, en un seul jour, sans
qu’aucun trait de ta figure ne trahisse ton émotion. Si ta mère était
trop vieille, choisis un autre sujet chirurgique, plus jeune et plus
frais, sur lequel la rugine aura prise, et dont les os tarsiens, quand
il marche, prennent aisément un point d’appui pour faire la bascule : ta
sœur, par exemple. Je ne puis m’empêcher de plaindre son sort, et je
ne suis pas de ceux dans lesquels un enthousiasme très froid ne fait
qu’affecter la bonté. Toi et moi, nous verserons pour elle, pour cette
vierge aimée (mais, je n’ai pas de preuves pour établir qu’elle soit
vierge), deux larmes incoercibles, deux larmes de plomb. Ce sera tout.
La potion la plus lénitive, que je te conseille, est un bassin, plein
d’un pus blennorrhagique à noyaux, dans lequel on aura préalablement
dissous un kyste pileux de l’ovaire, un chancre folliculaire, un prépuce
enflammé, renversé en arrière du gland par une paraphimosis, trois
limaces rouges. Si tu suis mes ordonnances, ma poésie te recevra à bras
ouverts, comme un pou resèque, avec ses baisers, la racine d’un cheveu.
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