Charles Leconte de Lisle

Poèmes antiques


Glaucé


 
 

I


 
Sous les grottes de nacre et les limons épais
Où la divine Mer sommeille et rêve en paix,
Vers l’heure où l’Immortelle aux paupières dorées
Rougit le pâle azur de ses roses sacrées,
Je suis née, et mes sœurs, qui nagent aux flots bleus,
M’ont bercée en riant dans leurs bras onduleux,
Et, sur la perle humide entrelaçant leurs danses,
Instruit mes pieds de neige aux divines cadences.
Et j’étais déjà grande, et déjà la beauté
Baignait mon souple corps d’une molle clarté.
Longtemps heureuse au sein de l’onde maternelle,
Je coulais doucement ma jeunesse éternelle ;
Les Sourires vermeils sur mes lèvres flottaient,
Les Songes innocents de l’aile m’abritaient ;
Et les Dieux vagabonds de la mer infinie
De mon destin candide admiraient l’harmonie.
Ô jeune Klytios, ô pasteur inhumain,
Que Pan aux pieds de chèvre éleva de sa main,
Quand sous les bois touffus où l’abeille butine
Il enseigna Syrinx à ta lèvre enfantine,
Et, du flot cadencé de tes belles chansons,
Fit hésiter la Vierge au détour des buissons !
Ô Klytios ! sitôt qu’au golfe bleu d’Himère
Je te vis sur le sable où blanchit l’onde amère,
Sitôt qu’avec amour l’abîme murmurant
Eut caressé ton corps d’un baiser transparent,
Éros ! Éros perça d’une flèche imprévue
Mon cœur que sous les flots je cachais à sa vue.
Ô pasteur, je t’attends ! Mes cheveux azurés
D’algues et de corail pour toi se sont parés ;
Et déjà, pour bercer notre doux hyménée,
L’Euros fait palpiter la mer où je suis née.
 
 

II


 
Salut, vallons aimés, dans la brume tremblants !
Quand la chèvre indocile et les béliers blancs
Par vos détours connus, sous vos ombres si douces,
Dès l’aube sur mes pas paissent les vertes mousses ;
Que la terre s’éveille et rit, et que les flots
Prolongent dans les bois d’harmonieux sanglots ;
Ô Nymphe de la mer, Déesse au sein d’albâtre,
Des pleurs voilent mes yeux, et je sens mon cœur battre,
Et des vents inconnus viennent me caresser,
Et je voudrais saisir le monde et l’embrasser !
Hèlios resplendit : à l’abri des grands chênes,
Aux chants entrecoupés des Naïades prochaines,
Je repose, et ma lèvre, habile aux airs divins,
Sous les rameaux ombreux charme les Dieux sylvains.
Blonde fille des Eaux, les vierges de Sicile
Ont émoussé leurs yeux sur mon cœur indocile ;
Ni les seins palpitants, ni les soupirs secrets,
Ni l’attente incertaine et ses pleurs indiscrets,
Ni les baisers promis, ni les voix de sirène
N’ont troublé de mon cœur la profondeur sereine.
J’honore Pan qui règne en ces bois révérés,
J’offre un agreste hommage à ses autels sacrés ;
Et Kybèle aux beaux flancs est ma divine amante
Je m’endors en un pli de sa robe charmante,
Et, dès que luit aux cieux le matin argenté,
Sur les fleurs de son sein je bois la volupté !
Dis ! si je t’écoutais, combien dureraient-elles,
Ces ivresses d’un jour, ces amours immortelles ?
Ô Nymphe de la mer, je ne veux pas t’aimer !
C’est vous que j’aime, ô bois qu’un Dieu sait animer,
Ô matin rayonnant, ô nuit immense et belle !
C’est toi seule que j’aime, ô féconde Kybèle !
 
 

III


 
Viens, tu seras un Dieu ! Sur ta mâle beauté
Je poserai le sceau de l’immortalité ;
Je te couronnerai de jeunesse et de gloire ;
Et sur ton sein de marbre, entre tes bras d’ivoire,
Appuyant dans nos jeux mon front pâle d’amour,
Nous verrons tomber l’ombre et rayonner le jour
Sans que jamais l’oubli, de son aile envieuse,
Brise de nos destins la chaîne harmonieuse.
J’ai préparé moi-même au sein des vastes eaux
Ta couche de cristal qu’ombragent des roseaux ;
Et les Fleuves marins aux bleuâtres haleines
Baigneront tes pieds blancs de leurs urnes trop pleines.
Ô disciple de Pan, pasteur aux blonds cheveux,
Sur quels destins plus beaux se sont portés tes vœux ?
Souviens-toi qu’un Dieu sombre, inexorable, agile,
Desséchera ton corps comme une fleur fragile...
Et tu le supplîras, et tes pleurs seront vains.
Moi, je t’aime, ô pasteur ! et dans mes bras divins
Je sauverai du temps ta jeunesse embaumée.
Vois ! d’un cruel amour je languis consumée,
Je puis nager à peine, et sur ma joue en fleur
Le sommeil en fuyant a laissé la pâleur.
Viens ! et tu connaîtras les heures de l’ivresse !
Où les Dieux cachent-ils la jeune enchanteresse
Qui, domptant ton orgueil d’un sourire vainqueur,
D’un regard plus touchant amollira ton cœur ?
Sais-tu quel est mon nom, et m’as-tu contemplée
Lumineuse et flottant sur ma conque étoilée ?
N’abaisse point tes yeux. Ô pasteur insensé,
Pour qui méprises-tu les larmes de Glaucé ?
Daigne m’apprendre, ô marbre à qui l’amour me lie,
Comme il faut que je vive, ou plutôt que j’oublie !
 
 

IV


 
Ô Nymphe ! s’il est vrai qu’Éros, le jeune Archer,
Ait su d’un trait doré te suivre et te toucher ;
S’il est vrai que des pleurs, blanche fille de l’onde,
Étincellent pour moi dans ta paupière blonde ;
Que nul Dieu de la mer n’est ton amant heureux,
Que mon image flotte en ton rêve amoureux,
Et que moi seul enfin je flétrisse ta joue ;
Je te plains ! Mais Éros de notre cœur se joue.
Et le trait qui perça ton beau sein, ô Glaucé,
Sans même m’effleurer dans les airs a glissé.
Je te plains ! Ne crois pas, ô ma pâle Déesse,
Que mon cœur soit de marbre et sourd à ta détresse ;
Mais je ne puis t’aimer : Kybèle a pris mes jours,
Et rien ne brisera nos sublimes amours.
Va donc ! et, tarissant tes larmes soucieuses,
Danse bientôt, légère, à tes noces joyeuses !
Nulle vierge, mortelle ou Déesse, au beau corps,
N’a vos soupirs divins ni vos profonds accords,
Ô bois mystérieux, temples aux frais portiques,
Chênes qui m’abritez de rameaux prophétiques,
Dont l’arome et les chants vont où s’en vont mes pas,
Vous qu’on aime sans cesse et qui ne trompez pas,
Qui d’un calme si pur enveloppez mon être
Que j’oublie et la mort et l’heure où j’ai dû naître !
Ô nature, ô Kybèle, ô sereines forêts,
Gardez-moi le repos de vos asiles frais ;
Sous le platane épais d’où le silence tombe,
Auprès de mon berceau creusez mon humble tombe ;
Que Pan confonde un jour aux lieux où je vous vois
Mes suprêmes soupirs avec vos douces voix,
Et que mon ombre encore, à nos amours fidèle,
Passe dans vos rameaux comme un battement d’aile !
 

Commentaire (s)
Déposé par Cochonfucius le 1er octobre 2016 à 16h36

Octopode en octobre
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Fier de son poil d’azur, de son pelage épais,
Sous le soleil d’octobre, il déambule en paix,
Faisant valoir l’éclat de ses griffes dorées
Que reflètent les eaux des fontaines sacrées.

L’ondine, en observant ce bel animal bleu,
Rêve de le bercer dans ses bras onduleux,
Et, sur la pente humide entrelaçant les danses,
D’initier ce grand fauve aux divines cadences.

L’octopode, n’aimant que sa propre beauté
Cherche une octopodesse, aux dernières clartés ;
Celle dont il aura la douceur maternelle
Pourra vivre avec lui des amours éternelles.

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