Fille Sale

 
En caressant cest Instrument
Qui créa Thèbes sans ciment,
Je flaire, au doigt qui le tracasse,
Églé, ta chère infection,
Et jure de chanter ta Crasse,
Sur le divin luth d’Amphion !
 
Églé, sois louée à toujours,
Pour tes genous, qui des labours
Ont conservé la terre amée !
Recognoist-on pas, à les veoir,
Que tu prias sous la ramée,
Courbée à l’Angelus du soir ?
 
Églé, qui veillas au chaudron,
Tes petits pieds de Cucendron
La cheminée ont ramonée ;
Et l’ombre fidelle à tes pas
Est une trace encharbonnée
Qui te suivra jusqu’au Trespas.
 
Si ton « coquin » sent le poisson,
C’est qu’un jour, cueillant le cresson,
Églé, tu cheus dans la fontaine :
L’espinoche prist pour son nid
La touffe adorable de laisne
Et s’y tinst en catimini.
 
Églé, ton nombry est si noir
Qu’il sembleroit un esteignoir
S’il n’estoit centre d’une cible ;
L’Infant au petit arc Turquois
Y descoche un dard infaillible
Et ménage ainsy son carquois.
 
Églé, tes tétins enfuméz,
Ce sont deux gros boulets raméz
Que le Boisteux fist dans sa forge,
Si bien que le Fils de Junon
Voudroit reposer sur ta gorge,
Luy qui dort auprès d’un canon.
 
Un distique forment tes bras,
Églé, sur la page des draps
Escrit à l’ancre de la Chine ;
Et l’aisselle de chacun d’eux
Ryme bien avec sa cousine,
Pour le nez comme pour les yeux.
 
Églé, tes cheveux sentent fort
La feuille-morte et le bois-mort
Alors que ta main les délie ;
Tout l’Automne, amer et déclos,
Au vent nocturne s’exfolie
Quand ils s’escroulent sur ton dos.
 
Églé tes aureilles, enfin,
Exsudent l’Ambre et le Succin,
Ou ressemblent deux coquillages :
Les flots les ont abandonnéz,
Et, dans ces délicats naufrages
Des sablons sont encloisonnéz.
 
Ah ! je ry de Pygmalion,
Qui fist son adoration
D’une pierre nette et polie !
Non ! de Vénus le corps si beau
N’eust point excité ma folie,
Lui qui nasquit au sein de l’Eau.

Et vous, petits flacons d’odeurs !
Souffriray-je qu’un jus de fleurs
Par le nez à l’amour nous maine,
Quand, Fée au berceau de chascun,
La Nature nous fist l’estrenne
D’un inespuisable parfum ?
 
Églé, Vaisseau noir et poreux
D’où filtrent basmes odoreux,
Que l’eau jamais ne te cognoisse ;
Blanchis, et je suis desgrisé,
Comme un Biberon qui délaisse
Un vase de vin baptisé !