Louis Mandin

in Anthologie poétique du XXe siècle, 1923


Sous le symbole de l’hirondelle


 
Petite rue,
Enfumée et vieille et perdue,
Et sans voitures, sans aurores, sans matins,
Car, entre tes murs noirs, l’ombre règne comme un destin ;
Toute petite rue,
Tronquée et mutilée, et qui dors inconnue
Au seuil du jeune et frémissant quartier latin,
Petite rue où je suis né,
Je souris en pensant que ton coin si fané,
Si reclus, si fermé,
Et qui te cache, ainsi qu’une captive mal vêtue,
Au bord bruyant de la fontaine Saint-Michel,
Ton nom, parmi les ténèbres accrues,
Porte du printemps et des ailes,
Car tu restes mon enfantine et vieille rue
De l’Hirondelle.
 
Et tu gardes pour moi l’enseigne disparue,
Tu berces sur mon cœur le symbole fidèle,
Si doux, si triste, des ténèbres et des ailes.
 
 

*


 
Tronquée et mutilée,
Ton premier numéro, c’est vingt. Pourquoi ? Comment ?
La moitié de ta vie est absente, comme envolée.
Tu n’as pas de commencement,
Et moi je n’eus pas de jeunesse.
Mais j’ai peut-être une éternelle enfance,
Qui vivra longuement avec moi dans la conscience
De quelque vierge en deuil, au fond très doux de sa tristesse.
 
Mon enfance ?
Une chose sinistre un peu,
Sur elle qui s’ouvrait, a plané depuis ma naissance,
Comme un grand oiseau noir sur un frêle oiseau bleu.
Mon enfance ne fut qu’un pâle et lent silence.
 
Les autres enfants dansent,
Se battent et gambadent,
Lancent des cris et des ruades,
Des culbutes et des roulades,
Des grimaces, des escapades...
 
Seul, je fus l’immobile et le monotone silence...
 
 

*


 
Faible et sans bruit, dans une humble chambre pensive,
Je me revois, rêvant tout le jour auprès de ma mère.
Sa tendresse un peu maladive
M’y tenait enfermé comme dans une serre.
 
Tous les maux qu’elle avait soufferts
Vivaient comme assoupis, et sous le calme, dans ses nerfs
Tourmentaient sourdement ses sensibles fibres trop vives.
Elle avait peur de tout pour moi, du vent, de l’air,
Et des gamins, et des chevaux et des passants.
Elle avait arrêté les mouvements du temps
Autour de moi... J’étais déjà le solitaire.
 
Je rêvais, pâle comme une fleur sous la terre.
 
 

*


 
Même dans ce mouvant Paris,
L’hirondelle revient chaque année à son nid.
Mais l’homme, moins heureux, quitte le sien, et c’est fini.
Moi j’habitais, lorsque j’étais un tout petit,
Cette autre antique rue aux enseignes, la Saint-Denis,
Auprès d’un sphinx apothicaire, auprès du bruit
Illuminé du boulevard Sébastopol,
Et quand j’y vais rôder, la fontaine des Innocents
Me rend encor mes yeux enfants.
Puis, ce fut un quartier lointain, au bruit plus mol,
Le coin d’un autre boulevard,
D’où je voyais en bas les boutiquiers bavards,
Et dans les airs encor les hirondelles,
Et le dôme doré de Napoléon dans les cieux,
Et les clartés tremblant dans le soir sombre et lumineux,
Et le miracle vague, enchanté, qui ruisselle
De tout ce que l’enfant pensif a sous les yeux.
Je ne sortais jamais. Tout seul à ma fenêtre
Je regardais passer ces images de l’Être.
Et de cette monotonie
Naquirent en secret, mystérieux comme la vie,
L’âme et le cœur profond de la poésie infinie.
Oui, mon âme et mon cœur, vibrants et souterrains,
Dans ce silence d’une enfance et d’un destin,
Comme une aurore où luit tout le rêve encor, s’éveillèrent...
 

Janvier 1912.

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