Contre l’espoir de rebâtir
pour Gabriele d’Annunzio.
Ô grande Mer rebelle et véhémente !...
Grande Mer Vengeresse,
ô Mer de caoutchouc noirâtre,
bondis, bondis d’un élan élastique,
par-dessus les nuages, jusqu’au Zénith !...
... Et puis, tombe et retombe fougueusement,
comme une balle énorme de caoutchouc pesant !...
Défonce les rivages, les ports, et les docks accroupis
comme des buffles sous leurs cornes virantes de fumée !...
Écrase les cités et leurs couloirs de catacombe,
écrase encore sans cesse le peuple des goitreux
et des abstèmes, fauche d’un coup
des moissons rabougries de pliantes échines !
Défonce les bedaines milliardaires
ainsi que des tambours en y sonnant la charge !...
Grande Mer Vengeresse, lance donc, lance donc
nos crânes explosifs dans les jambes des Rois !
N’est-ce pas là votre jeu de quilles préféré
Rôdeurs et Maraudeurs ?... Hurrah ! Hurrah !.....
Ô Mer, délivre-toi de la palpitation
immonde des voiles membraneuses
enchevêtrées en ailes de vampire,
et qui couvent, parmi les bastingages,
des ballots scintillants comme d’énormes œufs d’or !...
En un grand jeu de flux et de reflux, force et dévaste
les grands ports d’ébène tout étranglés de roches,
dont le goulet souffle une rouge haleine,
sous des Fumées géantes et droites, couronnées d’astres,
qui les piétinent superbement de leurs pas de fantômes !...
Et ces rades d’Afrique que trois canons cloués
en batterie, au bout d’un brise-lames,
voudraient défendre encore, accroupis aux aguets,
comme les dogues foudroyés d’une case maudite !...
Les criques solitaires que les pirogues maraudeuses,
emmantelées de brume, visitent, à pas sournois,
avec des flammes louches rampant sur l’eau d’acier !...
Et tes ports renfrognés comme l’antre d’un sorcier
donnant sous l’œil verdâtre et rond d’un phare
qui veille à la nuit pleine comme un chat au sabbat !...
Golfes, rades et ports et leurs chantiers voraces,
et leurs môles tendus tels des longs bras de ladre,
brandisseurs de tenailles vers la fragilité
des îles qui tressaillent au loin !...
..... Assaille-les, ô Mer, au crépuscule, cabrant tes houles !...
Enlace-les avec les tentacules formidables
de tes vagues d’émeraude élastique !..
Embouche les buccins de tes rafales,
jette l’épouvante au cœur des villes ténébreuses,
et gifle du revers écumant de tes lames
le gros mufle rugueux des brunes citadelles
ocellées de lanternes qui sanguinolent dans l’eau noire,
sous les cheveux raidis des baïonnettes au clair...
..... au clair de lune !...
Dégonde à tour de bras et déracine
les murailles d’airain que tu auras fascées
de tes tresses géantes au triple nœud gordien
mordu de pierreries !...
Disloque les promontoires en tronçonnant d’un geste
les tours souveraines des phares !...
Dans le creuset des golfes aux parois de sables,
pile donc avec joie, sous tes pilons infatigables,
les cuirassées étincelantes,
battant neuf au soleil comme des uniformes !...
Entame à belles dents, mâche et remâche
leur rouge carapace de homard colossal,
leurs éperons, leurs mâts, et leurs hublots myopes,
leurs antennes fourchues et pavoisées de rouge
comme une pince où se balance un peu de viande !
Puis, entasse fougueusement et roule mille fois
ces pans de voiles, ces quartiers de navires
et ces carcasses de voiliers
en pelotes monstrueuses !...
Soutire-les aux profondeurs de tes abîmes ;
puis déclenchant comme un ressort
tes muscles tout-puissants,
projette au ciel ces masses incandescentes,
en guise de bolide,
dans le remous des forces sidérales !...
— « Quand tout sera détruit ?...
— « Quand tout sera détruit. Oh ! plus ne nous donnons la peine
de rebâtir les fabuleux échafaudages
d’un Grand Monde idéal,
sur les ruines de l’Ancien !...
Quoi que nous rêvions, nous n’enfantons que Haine.
La main de l’homme ne sait construire
que des cachots, et forger que des chaînes !...
Assis au bout des promontoires surnageants
qui lentement s’éboulent,
grande Mer Vengeresse, nous attendrons la Mort,
sinistres et apaisés
et la bouche collée sur ta bouche formidable
à broyer des rochers sans effort !...
La Mort, la Mort présidera à ce baiser funèbre !...
Regardez ! Regardez ! Rôdeurs et Maraudeurs,
Éternels chemineaux aux pieds sanguinolents,
mes frères bien-aimés, ô derniers survivants,
déjà la Mort enfonce son ongle d’or crochu
sur l’arc de l’horizon noirâtre...
comme un croissant de lune aux bonaces d’été !...
Regardez ! Entendez ! Rôdeurs et Maraudeurs,
Les voiles sur la mer... les nuages au couchant...
bombent déjà leurs joues de séraphins,
soufflant dans leurs buccins des fanfares guerrières.
Voix Lointaines
Holà hé !... Holà hoo !... Détruisons !... Détruisons !...