... Je serai, dans ton cœur, l’été sans fin des îles
Du Sud, un paysage vierge où tes accords
Connaîtront la beauté de se sentir dociles
Au rythme élyséen des lignes de mon corps ;
Je serai le sanglot de la bonne fontaine
Où toute soif d’amour boit les couleurs du soir,
Et tu t’étonneras de trouver la Lointaine
À la première étape, en ton chemin d’espoir !
Je serai ta Forêt, tes Nuages, ta Plaine,
Tout ce qui sourira de te revoir si grand,
Car la mort des printemps fit douce mon haleine,
Dernier effort de brise en un jardin dormant ;
Je quitterai pour toi le vitrail du soleil
Et tu me trouveras assise sur ta couche
La rose du silence au coin de cette bouche
Et dans ces mains de miel la coupe du sommeil.
À ton recueillement je serai solitude,
À ton labeur, silence ; et je t’enseignerai
À façonner tes vers selon les attitudes
Des cygnes riverains, anges des cieux sombrés.
Je serai l’heure franche où tintent les matines,
L’odeur de l’ombre et de la terre quand il pleut,
La voix des moissonneurs derrière les collines,
Toute la joie immense en pleurs de l’été bleu ;
Et je serai la nuit ! ma robe est la poussière
Des noctuelles d’or sous la lune moirée ; —
Le battement muet et lent de mes paupières
Est un essaim dormant de mirtils des forêts.
Pour plaire à tes bonheurs, j’apparaîtrai sereine
Comme un nuage heureux suspendu dans l’éther,
Mais parfois triste aussi, pour séduire tes peines,
Comme un adieu d’enfant à de candides mers.
Avec un peu d’eau vive et de vent et de sable
Je saurai recréer tes visions d’enfant ;
Avec quelques brins d’herbe une forêt de fable
Pour y bercer ton cœur orphelin du vieux temps.
Je sais des lieux dormants, mystérieux, semblables
Aux paysages purs qui rêvent dans le cœur.
Un charme ténébreux, tendre, indéfinissable
Y chuchote mon nom dans les arbres pleureurs.
Je me couvrirai d’un manteau de somnolence
Semé de fleurs comme une nuit de la Saint-Jean,
Et la mousse, l’écho, la lune, le silence
Reconnaîtront en moi la sœur du confident.
Heureux de pouvoir comparer ta Foi nouvelle
À l’aloès qu’enfante un siècle de torpeurs,
Tu t’agenouilleras, et ma chair sera belle
De la couleur de l’ombre et de la mort des fleurs !
Puis, trouvant à ma bouche un goût de fruit sauvage
Tu béniras ma vie et tu me souriras
Comme un enfant rêveur sourit à son mirage
Dans une eau calme, à l’heure où le soleil est bas.
Tu dénoueras, dans le midi, ma chevelure
Où se débattront des papillons aveuglés,
Et tu diras : « Voici l’été ; la terre est mûre ;
La moire des vents lourds se couche sur Ies blés ;
La vapeur d’or d’un grand sommeil doucement flotte
Sur la plaine ; le jour défaille de douceur ;
Je ris et l’on dirait que mon rire sanglote
Dans la mélancolie immense du bonheur.
Confidente de l’ombre et des saules bruissants,
J’ai peur de tes chansons qui s’achèvent en thrènes
Je sens souffrir ma vie au profond de tes veines,
Ton cher reflet sommeille au secret de mon sang. »
Et tu diras encor : « J’aime ta bouche agreste,
Les sources de ton rire et le goût de ton cœur.
Vois ! le ciel semble avoir pâli de notre inceste ;
Ton nom d’amante est beau ; dis-moi ton nom de sœur. »
— Je rirai doucement de te voir pris au piège
De ma tendresse et de mon charme, et je dirai :
« L’amour est pur comme un parfum de perce-neige
Au mois du renouveau, dans l’antique forêt.
L’amour, cher ciel bleu-gris fait d’âmes apaisées,
Voix du pardon nocturne au jardin repentant
Où l’insomnie heureuse enfante les rosées,
L’amour, tout ce qu’on pleure et tout ce qu’on attend ! »
*
— Comme elle sonne loin, dans les feuilles trop mûres,
L’automnale chanson prometteuse d’étés !
J’ai vu s’éteindre, au jardin fou des chevelures,
Les juillets de mon âme aux midis exaltés.
Je ne me souviens plus au coin de quelle route
Ma vie a déposé le fardeau de l’espoir ;
Et j’ai tout vu mourir, la foi comme le doute,
La tristesse du jour comme l’ennui du soir.
Je me suis embarqué, sur le fleuve des âmes,
Pour le royaume des orgueils découronnés,
Et mon indifférence abandonne les rames
À l’onde léthéenne où je me reconnais ;
Et mon cœur est la cloche où s’exaspère et clame
Sous le batail géant un sinistre péan,
Et le néant de tout se couche sur mon âme
Comme sur les noyés le poids de l’océan.