Oscar V. de L. Milosz

Les Sept Solitudes, 1906


Karomama


 
Mes pensées sont à toi, reine Karomama du très vieux temps,
Enfant dolente aux jambes trop longues, aux mains si faibles
Karomama, fille de Thèbes,
Qui buvais du blé rouge et mangeais du blé blanc
Comme les justes, dans le soir des tamaris.
Petite reine Karomama du temps jadis.
 
Mes pensées sont à toi, reine Karomama
Dont le nom oublié chante comme un chœur de plaintes
Dans le demi-rire et le demi-sanglot de ma voix ;
Car il est ridicule et triste d’aimer la reine Karomama
Qui vécut environnée d’étranges figures peintes
Dans un palais ouvert, tellement autrefois,
Petite reine Karomama.
 
Que faisais-tu de tes matins perdus, Dame Karomama ?
Vers la raideur de quelque dieu chétif à tête d’animal
Tu allongeais gravement tes bras maigres et maladroits
Tandis que des feux doux couraient sur le fleuve matinal.
Ô Karomama aux yeux las, aux longs pieds alignés,
Aux cheveux torturés, morte du berceau des années...
Ma pauvre, pauvre reine Karomama.
 
Et de tes journées, qu’en faisais-tu, prêtresse savante ?
Tu taquinais sans doute tes petites servantes
Dociles comme les couleuvres, mais comme elles indolentes ;
Tu comptais les bijoux, tu rêvais de fils de rois
Sinistres et parfumés, arrivant de très loin,
De par delà les mers couleur de toujours et de loin
Pour dire : « Salut à la glorieuse Karomama. »
 
Et les soirs d’éternel été tu chantais sous les sycomores
Sacrés, Karomama, fleur bleue des lunes consumées ;
Tu chantais la vieille histoire des pauvres morts
Qui se nourrissaient en cachette de choses prohibées
Et tu sentais monter dans les grands soupirs tes seins bas
D’enfant noire et ton âme chancelait d’effroi.
Les soirs d’éternel été, n’est-ce pas, Karomama ?
 
— Un jour (a-t-elle vraiment existé, Karomama ?),
On entoura ton corps de jaunes bandelettes,
On l’enferma dans un cercueil grotesque et doux en bois de cèdre.
La saison du silence effeuilla la fleur de ta voix.
Les scribes confièrent ton nom aux papyrus
Et c’est si triste et c’est si vieux et c’est si perdu...
C’est comme l’infini des eaux dans la nuit et dans le froid.
 
Tu sais sans doute, ô légendaire Karomama !
Que mon âme est vieille comme le chant de la mer
Et solitaire comme un sphinx dans le désert,
Mon âme malade de jamais et d’autrefois.
Et tu sais mieux encor, princesse initiée,
Que la destinée a gravé un signe étrange dans mon cœur,
Symbole de joie idéale et de réel malheur.
 
Oui, tu sais tout cela, lointaine Karomama,
Malgré tes airs d’enfant que sut éterniser
L’auteur de ta statue polie par les baisers
Des siècles étrangers qui languirent loin de toi.
Je te sens près de moi, j’entends ton long sourire
Chuchoter dans la nuit : « Frère, il ne faut pas rire. »
— Mes pensées sont à toi, reine Karomama.
 

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Αpоllinаirе : À trаvеrs l’Εurоpе

Hugо : «Jеunеs gеns, prеnеz gаrdе аuх сhоsеs quе vоus ditеs...»

Сhаrlу : Dеrniеr sоnnеt

Vаlléе dеs Βаrrеаuх : «Grаnd Diеu, tеs јugеmеnts sоnt rеmplis d’équité...»

Vеrlаinе : Vеrs dоrés

Ρоzzi : Νух

Ο’Νеddу : Μаdоnnа соl bаmbinо

Соppéе : Un fils

Соppéе : «À Ρаris, еn été...»

Τhаlу : L’Îlе lоintаinе

☆ ☆ ☆ ☆

Hugо : «Jеunеs gеns, prеnеz gаrdе аuх сhоsеs quе vоus ditеs...»

Αpоllinаirе : Lе Rеpаs

Соppéе : Unе sаintе

Du Βеllау : «Сеnt fоis plus qu’à lоuеr оn sе plаît à médirе...»

Rоllinаt : Lа Débâсlе

Klingsоr : L’Αttеntе inutilе

Τhаlу : Εsсlаvаgе

Соppéе : Τristеmеnt

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur Νаturе pаrisiеnnе (Gаlоу)

De Сосhоnfuсius sur Ρrièrе du vоуаgеur (Drеlinсоurt)

De Rоzès sur Répétitiоn (Vаuсаirе)

De Сосhоnfuсius sur «Vоs сélеstеs bеаutés, Dаmе, rеndеz аuх сiеuх...» (Μаgnу)

De Jаdis sur Lеs Αngéliquеs (Νеlligаn)

De Xi’аn sur Sоnnеt : «Νоn, quаnd biеn mêmе unе аmèrе sоuffrаnсе...» (Μussеt)

De Rоzès sur Εsсlаvаgе (Τhаlу)

De Jаdis sur Épitаphе d’un сhiеn (Μаllеvillе)

De Сurаrе- sur Lе Lаit dеs сhаts (Guérin)

De Jаdis sur «Αh ! Sеignеur, Diеu dеs сœurs rоbustеs, répоndеz !...» (Guérin)

De Ιо Kаnааn sur Сrоquis (Сrоs)

De Сurаrе- sur À un sоt аbbé dе quаlité (Sаint-Ρаvin)

De Τristаn Βеrnаrd sur Lеs Соnquérаnts (Hеrеdiа)

De Lа Μusérаntе sur Sоnnеt dе Ρоrсеlаinе (Viviеn)

De Dаmе dе flаmmе sur «Du tristе сœur vоudrаis lа flаmmе étеindrе...» (Sаint-Gеlаis)

De Сurаrе- sur «С’еst оrеs, mоn Vinеus, mоn сhеr Vinеus, с’еst оrе...» (Du Βеllау)

De Wеbmаstеr sur Lа Ρеtitе Ruе silеnсiеusе (Fоrt)

De Dаmе dе flаmmе sur «Τоi qui trоublеs lа pаiх dеs nоnсhаlаntеs еаuх...» (Βеrnаrd)

De Xi’аn sur Μirlitоn (Соrbièrе)

De Xi’аn sur «Αimеz-vоus l’оdеur viеillе...» (Μilоsz)

De krm sur Vеrlаinе

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе