Oscar V. de L. Milosz


Talita Cumi


 
Je te connais déjà depuis quelque dix ans, sur la terre suspendue dans le silence,
Enfant du destin ; et c’est ta pauvre image qui toujours m’apparaît la première
Dans la lucidité de mes réveils du déclin de la nuit,
Quand, suivant en esprit le Cosmos dans son vol muet,
Tout à coup je sens l’univers s’engouffrer en moi comme aspiré par le vide de tous ces jours.
Je suis alors comme une chose en feu sur le fleuve dans la nuit d’été
Et la clef de soleil est sous ma main, qui ouvre les Réels miroitants d’un brouillard de vie.
Et certe, un seul mot, et, dans ce pays vrai où j’ai maint serviteur éblouissant
M’apparaîtraient des formes tout autres que la tienne, caillou ramassé ici pour le souvenir.
Mais ne t’ai-je pas aimé d’humilité dans cette toute petite succession de jours ?
Je partirai bientôt. Ô moitié de cœur, moitié de cœur jetée
Dans la boue et le froid et la pluie et la nuit de la ville !
Ô mon apprivoisé menacé par l’hiver !
Écoute-moi. Ouvre tout grand ce quelque chose en toi que tu ne connais pas,
Et tâche, quoi qu’il advienne, tâche de retenir en ta minuscule mémoire
Ce conseil d’un qui a mûri avec l’ortie dans le long et torride été de l’amertume :
Travaille !
Ne tente pas le roi terrible de la vie, le dieu dans le mouvement
Impitoyable des routes du monde, l’idole dans le chariot aux roues broyeuses.
Travaille, enfant ! Car tu es condamnée, frêle, à vivre longtemps
Et je ne voudrais pas m’enfuir de ces assourdissantes galères
Avec la pauvre image de ce que tu seras un jour :
Une petite enfant tout à coup devenue petite vieille,
Avec d’amers cheveux blancs sous le châle, je ne sais dans quel aigre et noir faubourg
Et seule sur la berge avec le fleuve, un ballot de terreur
Sur le dos, sœur des humides pierres et des grands, grands arbres nus.
Épargne-moi cela. Car je serai affreusement absent, réveillé pour toujours
Dans l’un des deux Royaumes, je ne sais lequel, le ténébreux,
Je le crains, car il y a en moi quelque chose qui brûle d’un feu bas et jugé.
Et je te le dis bien, passereau de misère, tu seras seule dans cette vie atroce
Comme vers le petit jour avare et blême de la Seine
De tous abandonné, le signal rouge et vert.
Je ne sais plus qui a tué mon cœur ; mais n’a-t-il pas en mourant, le mauvais,
Légué toute sa royauté funèbre de compassion à mes os ? Enfant !
C’est une douleur que l’on n’exprime pas. L’homme atteint de ce nocturne mal
Souffre, omniscient et muet, avec les pierres des fondements dans la moisissure des ténèbres.
Je sais bien que c’est Lui, Lui dont le nom secret est : le Séparé-de-Lui-même
Qui souffre en nous : et que lorsque sera enfin passée
La nuit sans fleurs et sans miroirs et sans harpes de cette vie, un chant
Vengeur, un chant de toutes les aurores de l’enfance
Se brisera en nous ainsi que le cristal immense du matin
Au cri des ailés, dans la vallée de rosée.
Eh oui, je le sais. Mais cette pauvre image de ta vie dans le solitaire avenir, cela
Je ne peux pas le supporter. C’est une véritable frayeur d’insecte en moi.
Un cri d’insecte au fond de moi
Sous les cendres du cœur.
 

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