Adrien Mithouard


Jean de la Lune


 
Le corps des hommes purs dans la lune repose.
Le péché, dans leur chair, brisa ses aiguillons,
Et la candeur des nuits est leur apothéose.
 
La lune a dépouillé leur corps de ses haillons,
Elle a tissé pour eux d’éblouissantes serges :
Chacun a pour linceul un de ses blancs rayons.
 
Oh ! comme ils ont souffert parfois, les hommes vierges !
De quel profond sommeil ils dorment dans l’azur,
Où veillent pour toujours des millions de cierges !
 
C’est la gloire de ceux dont le corps était pur
Que la lune, le soir, ait de chastes aurores
Et qu’elle soit d’argent parmi le ciel obscur.
 
C’est pour leur faire honneur, ô lune, que tu dores,
Avec un bon sourire, une lueur de miel
Dont les nocturnes flots coulent de tes amphores.
 
C’est pour les proposer aux hommes pleins de fiel
Que tu les fais planer sur nos vicissitudes :
C’est pour les exalter que tu montes au ciel.
 
Ils dorment à l’écart et sont des multitudes.
Mais l’astre est sans limite et leur paix sans remords,
Pour asile éternel ils ont des solitudes.
 
Comme ils furent les vrais aimants et les vrais forts,
Ils sont ensevelis dans la lune chrétienne ;
Elle est la nécropole immense de ces morts.
 
Un clocher solitaire et d’une forme ancienne
S’élance, grêle et droit, d’un sauvage rocher,
Pour qu’une cloche y tinte à l’heure de l’antienne.
 
Lorsque le couvre-feu commence d’approcher,
Un cœur mystérieux, plein de miséricorde,
Se met à battre avec douceur dans ce clocher.
 
Nul moine cependant au firmament n’aborde
Qui vienne y balancer la cloche des déserts :
Dans la nuit claire pend de la lune la corde.
 
Elle ondule du haut du ciel ; du haut des airs
Elle traîne le long des sables de la dune,
Près de l’ermite Jean qui prie au bord des mers.
 
C’est un moine à genoux, blanc sur la terre brune ;
Vers l’astre sont levés ses deux humides yeux.
Il est le chapelain des plaines de la lune.
 
L’Océan devant lui, vaste et silencieux,
Expire sur le sable autour du promontoire.
Une mer de cristal s’épanche dans les cieux.
 
Toute chose s’effile et se fait blanche ou noire.
L’ombre découpe à vif sur le sol la clarté.
Le muet paysage est d’ébène et d’ivoire.
 
Le moine est plein d’amour devant la nuit d’été.
La bure, à plis épais, de ses reins tombe droite.
Il regarde l’espace avec avidité.
 
Jean de la Lune joint les deux mains et convoite
La blancheur des élus que Dieu nomme ses fils.
Il est simple en esprit : son âme est toute moite.
 
Ses yeux limpides sont bleus comme des lapis,
Sa face est diaphane et paradisiaque
Et la chair de ses mains est mate comme un lys.
 
Voici venir la nuit, qui monte au zodiaque.
Le jour il annonçait l’Évangile aux oiseaux ;
La nuit verse dans l’air sa douceur ébriaque.
 
Semblable aux bœufs du soir qui fument des naseaux,
On dirait que la lune en lueurs s’évapore.
La corde près de Jean traîne sur les roseaux.
 
Un clair fluide flotte autour du météore.
Jean regarde tout bas la lune avec ferveur,
Pour qu’en la regardant son cœur s’améliore.
 
Elle est édifiante, et c’est une faveur,
Quand elle coule à flots de lumière ouatée,
Qu’il pleuve des rayons de ce monde sauveur.
 
De son éclat de nacre elle offusque l’athée.
Là-haut les hommes purs décrivent à mi-voix
Des choses que perçoit son âme dilatée.
 
Ils lui parlent de l’Être et des cosmiques lois,
Ils chuchotent des mots qui disent le délice
De leur virginité défendue autrefois.
 
Ce que la lune a mis dans le rayon qui glisse,
C’est l’esprit de ces morts que la lutte a blêmis,
C’est l’âme des élus qui burent le calice.
 
Dans ses rayons c’est leur ivresse qu’elle a mis.
Jean regarde la lune, et la mer est couverte
De paillettes d’argent que secoue un tamis.
 
Jean regarde la lune et l’eau dans l’ombre verte.
Il voudrait recueillir cette lueur de prix
Qui sans nous convertir s’égare, en pure perte !
 
Jean regarde la lune où luit l’œil des esprits :
C’est un monstre plein d’yeux, tel qu’en l’Apocalypse.
La lune jette à Jean des regards attendris.
 
Quelquefois la lune est voilée : il craint l’éclipse.
Il sanglote quand la tempête au sombre vol
Crache et met des soufflets sur sa face de gypse.
 
Si l’ouragan l’entoure un soir, pour quelque viol,
Sous la foudre qui gronde, il frémit de l’outrage
Et parmi les éclairs se roule sur le sol.
 
Pendant la nuit sans lune et l’averse d’orage,
À coups de discipline il se meurtrit la chair.
Oh ! si dans l’ouragan l’astre faisait naufrage !
 
Mais bientôt reparaît, sain et sauf, l’astre cher.
Après les attentats de la rafale infâme,
L’écume de la lune est encor sur la mer.
 
C’est la même splendeur et c’est la même flamme,
Et l’éclat baptismal épars sur les flots blancs
Est un ruisseau de lait dont Jean nourrit son âme.
 
Et maintenant qu’ont fui les nuages troublants
Qu’il expia par une dure pénitence,
Sa prière s’envole en mystiques élans.
 
Il murmure, immobile, une oraison intense,
Tant qu’il monte à son front de subites sueurs
Et qu’il sent dans son cœur défaillir l’existence.
 
Il prie alors pour les larrons, pour les tueurs,
Pour les avares, pour les femmes en délire,
Dont les péchés de nuit profanent ces lueurs,
 
Et pour le voyageur lointain qu’on vient d’occire.
Puis il songe à l’orgie, aux nocturnes amours,
À tout ce qu’il connaît du mal, par ouï dire.
 
Il prie encore afin que l’astre dont le cours
Est la norme divine et fait Pâques, rayonne
Le soir du jeudi saint et pendant les trois jours.
 
Et sa main pâle prend la corde qui frissonne,
Et tandis qu’il formule en mots passionnés
L’oraison sidérale et débordante, il sonne.
 
Et par delà nos cieux d’orages sillonnés,
Il retentit dans l’astre un son mélancolique
Qui traverse là-haut des lieux abandonnés !
 
Quand la chair veut chanter sa chanson diabolique,
Heureux qui pour prier vers la lune s’enfuit,
Heureuse l’âme errante et bonne catholique :
 
Elle entendra sonner l’Angélus de Minuit.
 

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