Musset

Poésies nouvelles, 1850


Sonnet à Madame M.N.


 
« Je vous ai vue enfant, maintenant que j’y pense,
Fraîche comme une rose et le cœur dans les yeux.
— Je vous ai vu bambin, boudeur et paresseux ;
Vous aimiez lord Byron, les grands vers et la danse. »
 
Ainsi nous revenaient les jours de notre enfance,
Et nous parlions déjà le langage des vieux ;
Ce jeune souvenir riait entre nous deux,
Léger comme un écho, gai comme l’espérance.
 
Le lâche craint le temps parce qu’il fait mourir ;
Il croit son mur gâté lorsqu’une fleur y pousse.
Ô voyageur ami, père du souvenir !
 
C’est ta main consolante, et si sage et si douce,
Qui consacre à jamais un pas fait sur la mousse,
Le hochet d’un enfant, un regard, un soupir.
 

Mai 1843.

Commentaire (s)
Déposé par Jadis le 25 février 2020 à 15h42

Ce n’est pas vraiment ma veine
------------------------------------------

Moi qui vous parle ici sans fard, je vous dispense,
Avec tout le respect que je vous dois, monsieur,
De plaindre impudemment le héros malchanceux
Que je fus, lorsque me trahit la Providence.

Et que pourrais-je donc dire pour ma défense
Sinon que, tôt jeté en ce pays pluvieux,
Je n’avais guère pu, hasard cauchemardeux,
Relire auparavant mon contrat d’assurance.

Or me voilà transi, affolé, à courir,
Les yeux exorbités, à demi mort de frousse,
N’augurant rien de bon de mon glauque avenir.

Je voudrais vous y voir, quand au fond de la brousse
On fuit éperdument, en ayant à ses trousses
Un dogue, un éléphant, un cougar, un tapir.

[Lien vers ce commentaire]

Déposé par Cochonfucius le 3 août 2020 à 12h38

Piaf-Danseur
----------

Nul ne peut deviner ce que cet oiseau pense,
N’essayons même pas de lire dans ses yeux ;
Il boit en la taverne, il aime bien ce lieu,
Et, dit un chroniqueur, quand il est seul, il danse.

Son coeur n’a point perdu les plaisirs de l’enfance
Ni de l’adolescence, il est pourtant très vieux ;
Pour les jours qu’il lui reste, à la grâce de Dieu,
Il se contente d’être un vieillard sans défense.

Le mal peut l’accabler, la mort peut survenir,
Son âme en aucun cas ce destin ne repousse ;
Il plonge dans un livre ou dans un souvenir.

Jusqu’ici l’existence envers lui fut bien douce,
Qui ne lui donna point de trop fortes secousses ;
Il danse maintenant, qu’importe l’avenir ?

[Lien vers ce commentaire]

Déposé par Cochonfucius le 26 octobre 2020 à 13h27

Bouddha qui danse
----------

Le Bouddha rarement révèle ce qu’il pense,
Mais nous le devinons quand nous fermons les yeux ;
Au coucher du soleil, quand rougissent les cieux,
Nous ne pouvons le voir, mais nous savons qu’il danse.

Le vrai prince charmant qu’il fut dans son enfance
Chante toujours en lui, maintenant qu’il est vieux ;
Sans craindre les regards des hommes ni des dieux,
Il prend quelques plaisirs, respectant les défenses.

Il comprend que du Vide on ne peut revenir,
Mais pour son noble coeur l’impermanence est douce ;
Car un vivant n’est rien qu’un mort en devenir.

C’est un joyeux danseur qui à danser nous pousse
Et à suivre en ce monde un parcours sans secousses ;
Savourant le présent, le passé, l’avenir.

[Lien vers ce commentaire]

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