Anna de Noailles

Les Forces éternelles, 1920


Les Espaces infinis


 
Je reviens d’un séjour effrayant : n’y va pas !
Que jamais ta pensée, anxieuse, intrépide,
N’aille scruter le bleu du ciel, distrait et vide,
Et presser l’infini d’un douloureux compas !
 
Ne tends jamais l’oreille aux musiques des sphères,
N’arrête pas tes yeux sur ces coursiers brûlants :
Rien n’est pour les humains dans la haute atmosphère,
Crois-en mon noir vertige et mon corps pantelant.
 
Le poumon perd le souffle et l’esprit l’espérance,
C’est un remous d’azur, de siècles, de néant ;
Tout insulte à la paix rêveuse de l’enfance,
En l’abîme d’en haut tout est indifférent.
 
Et puisqu’il ne faut pas, âme, je t’en conjure,
Aborder cet espace, indolent, vague et dur,
Ce monstre somnolent dilué dans l’azur,
Aime ton humble terre et ta verte nature :
 
L’humble terre riante, avec l’eau, l’air, le feu,
Avec le doux aspect des maisons et des routes,
Avec l’humaine voix qu’une autre voix écoute,
Et les yeux vigilants qui s’étreignent entre eux.
 
Aime le neuf printemps, quand la terre poreuse
Fait sourdre un fin cristal, liquide et mesuré ;
Aime le blanc troupeau automnal sur les prés,
Son odeur fourmillante, humide et chaleureuse.
 
Honore les clartés, les sentiers, les rumeurs ;
Rêve ; sois romanesque envers ce qui existe ;
Aime, au jardin du soir, la brise faible et triste,
Qui poétiquement fait se rider le cœur.
 
Aime la vive pluie, enveloppante et preste,
Son frais pétillement stellaire et murmurant ;
Aime, pour son céleste et jubilant torrent,
Le vent, tout moucheté d’aventures agrestes !
 
L’espace est éternel, mais l’être est conscient,
Il médite le temps, que les mondes ignorent ;
C’est par ce haut esprit, stoïque et défiant,
Qu’un seul regard humain est plus fier que l’aurore !
 
Oui, je le sens, nul être au cœur contemplatif
N’échappe au grand attrait des énigmes du monde,
Mais seule la douleur transmissible est féconde,
Que pourrait t’enseigner l’éther sourd et passif ?
 
En vain j’ai soutenu, tremblante jusqu’aux moelles,
Le combat de l’esprit avec l’universel,
J’ai toujours vu sur moi, étranger et cruel,
Le gel impondérable et hautain des étoiles.
 
Entends-moi, je reviens d’en haut, je te le dis,
Dans l’azur somptueux toute âme est solitaire,
Mais la chaleur humaine est un sûr paradis ;
Il n’est rien que les sens de l’homme et que la terre !
 
Feins de ne pas savoir, pauvre esprit sans recours,
Qu’un jour pèse sur toi du front altier des cimes,
Ramène à ta mesure un monde qui t’opprime,
Et réduis l’infini au culte de l’amour.
 
Puisque rien de l’espace, hélas ! ne te concerne,
Puisque tout se refuse à l’anxieux appel
Laisse la vaste mer bercer l’algue et le sel
Et l’étoile entrouvrir sa brillante citerne,
 
Abaisse tes regards, interdis à tes yeux
Le coupable désir de chercher, de connaître,
Puisqu’il te faut mourir comme il t’a fallu naître,
Résigne-toi, pauvre âme, et guéris-toi des cieux.
 

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Jасоb : Silеnсе dаns lа nаturе

Βоilеаu : Sаtirе VΙΙΙ : «Dе tоus lеs аnimаuх qui s’élèvеnt dаns l’аir...»

Sigоgnе : «Се соrps défiguré, bâti d’оs еt dе nеrfs...»

Du Βеllау : «Соmtе, qui nе fis оnс соmptе dе lа grаndеur...»

Βаudеlаirе : Αu Lесtеur

Сhrеtiеn dе Τrоуеs : «Се fut аu tеmps qu’аrbrеs flеurissеnt...»

Τоulеt : «Dаns lе lit vаstе еt dévаsté...»

Riсtus : Jаsаntе dе lа Viеillе

Riсtus : Lеs Ρеtitеs Βаrаquеs

Dеsbоrdеs-Vаlmоrе : «J’étаis à tоi pеut-êtrе аvаnt dе t’аvоir vu...»

☆ ☆ ☆ ☆

Νоël : Visiоn

Siеfеrt : Vivеrе mеmеntо

Dеshоulièrеs : Sоnnеt burlеsquе sur lа Ρhèdrе dе Rасinе

Τоulеt : «Τоi qui lаissеs pеndrе, rеptilе supеrbе...»

Siсаud : Lа Grоttе dеs Léprеuх

Соppéе : «Сhаmpêtrеs еt lоintаins quаrtiеrs, је vоus préfèrе...»

Саrсо : Lаissеz-mоi

Νоuvеаu : Сru

Τоulеt : «Lе sаblе оù nоs pаs оnt сrié...»

Dеlаruе-Μаrdrus : Εrrеmеnts

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur «Μаîtrеssе, quаnd је pеnsе аuх trаvеrsеs d’Αmоur...» (Rоnsаrd)

De Сосhоnfuсius sur Lа Lunе оffеnséе (Βаudеlаirе)

De Сосhоnfuсius sur «Се соrps défiguré, bâti d’оs еt dе nеrfs...» (Sigоgnе)

De Rоzès sur Μédесins (Siсаud)

De Dаmе dе flаmmе sur «Hélаs ! vоiсi lе јоur quе mоn mаîtrе оn еntеrrе...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «J’аdоrе lа bаnliеuе аvес sеs сhаmps еn friсhе...» (Соppéе)

De Rоzès sur Lе Сhеmin dе sаblе (Siсаud)

De Sеzоr sur «Jе vоudrаis biеn êtrе vеnt quеlquеfоis...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De KUΝG Lоuisе sur Villе dе Frаnсе (Régniеr)

De Сurаrе- sur «Épоuvаntаblе Νuit, qui tеs сhеvеuх nоirсis...» (Dеspоrtеs)

De Xi’аn sur Jеhаn Riсtus

De Villеrеу јеаn -pаul sur Détrеssе (Dеubеl)

De ΒооmеrаngΒS sur «Βiеnhеurеuх sоit lе јоur, еt lе mоis, еt l’аnnéе...» (Μаgnу)

De Hаikukа sur «Lе Sоlеil l’аutrе јоur sе mit еntrе nоus dеuх...» (Rоnsаrd)

De Gаrdiеn dеs Суmеs sur Сhаnt dе Νоël (Νоël)

De Сurаrе- sur «Lа mоrt а tоut mоn biеn еt mоn еspоir étеint...» (Αubin dе Μоrеllеs)

De Сurаrе- sur Jоurnаlistе piеuх (Fréсhеttе)

De аunrуz sur Rêvеriе (Lаrguiеr)

De Сhristiаn sur Сrépusсulе dе dimаnсhе d’été (Lаfоrguе)

De Τhundеrbird sur Αgnus Dеi (Vеrlаinе)

De Jаdis sur Épiphаniе (Lесоntе dе Lislе)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе