Parny


Délire


 
Il est passé ce moment des plaisirs
Dont la vitesse a trompé mes désirs ;
Il est passé ; ma jeune et tendre amie,
Ta jouissance a doublé mon bonheur.
Ouvre tes yeux noyés dans la langueur,
Et qu’un baiser te rappelle à la vie.
 
Celui-là seul connaît la volupté,
Celui-là seul sentira son ivresse,
Qui peut enfin avec sécurité
Sur le duvet posséder sa maîtresse.
Le souvenir des obstacles passés
Donne au présent une douceur nouvelle ;
À ses regards son amante est plus belle ;
Tous les attraits sont vus et caressés.
Avec lenteur sa main voluptueuse
D’un sein de neige entrouvre la prison,
Et de la rose il baise le bouton
Qui se durcit sous sa bouche amoureuse.
Lorsque ses doigts égarés sur les lys
Viennent enfin au temple de Cypris,
De la pudeur prévenant la défense,
Par un baiser il la force au silence.
Il donne un frein aux aveugles désirs ;
La jouissance est longtemps différée ;
Il la prolonge, et son âme enivrée
Boit lentement la coupe des plaisirs.
 
Éléonore, amante fortunée,
Reste à jamais dans mes bras enchaînée.
Trouble charmant ! le bonheur qui n’est plus
D’un nouveau rouge a coloré ta joue :
De tes cheveux le ruban se dénoue,
Et du corset les liens sont rompus.
Ah ! garde-toi de ressaisir encore
Ce vêtement qu’ont dérangé nos jeux ;
Ne m’ôte point ces charmes que j’adore,
Et qu’à la fois tous mes sens soient heureux !
Nous sommes seuls ; je désire, et tu m’aimes ;
Reste sans voile, ô fille des Amours !
Ne rougis point ; les Grâces elles-mêmes
De ce beau corps ont formé les contours.
Partout mes yeux reconnaissent l’albâtre,
Partout mes doigts effleurent le satin.
Faible Pudeur, tu résistes en vain,
Des voluptés je baise le théâtre.
Pardonne tout, et ne refuse rien,
Éléonore ; Amour est mon complice.
Mon corps frissonne en s’approchant du tien.
Plus près encor, je sens avec délice
Ton sein brûlant palpiter sous le mien.
Ah ! laisse-moi, dans mes transports avides,
Boire l’amour sur tes lèvres humides.
Oui, ton haleine a coulé dans mon cœur ;
Des voluptés elle y porte la flamme :
Objet charmant de ma tendre fureur,
Dans ce baiser reçois toute mon âme.
 
À ces transports succède la douceur
D’un long repos. Délicieux silence,
Calme des sens, nouvelle jouissance,
Vous donnez seuls le suprême bonheur !
 
Puissent ainsi s’écouler nos journées,
Aux voluptés en secret destinées !
Qu’un long amour m’assure tes attraits ;
Qu’un long baiser nous unisse à jamais.
Laisse gronder la sagesse ennemie ;
Le plaisir seul donne un prix à la vie.
Plaisir, transports, doux présents de Vénus,
Il faut mourir, quand on vous a perdus !
 

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