Raoul Ponchon


Le Banquet des maires

Lettre d’un maire à la sienne

 

(Air : Aussitôt que la lumière)


 
En ma qualité de maire
Je reviens de ce banquet :
Il ne fut pas long, ma mère,
Cependant rien n’y manquait.
On voyait sur mille tables
De quoi captiver les yeux :
Mille vins indiscutables
Mille fruits mystérieux.
 
Aussitôt mon arrivée,
On me fit asseoir d’abord
À ma place réservée,
Section X, côté Nord.
Nous avions tous des serviettes,
Des fourchettes, des couteaux,
Et des quantités d’assiettes
Dont j’ignore les totaux.
 
Au bout d’une demi-heure,
On apporte les radis,
Des radis avec du beurre,
Du beurre avec des radis.
Au garçon qui m’en propose
Je réponds : Au nom du ciel !
Qu’on m’apporte quelque chose
D’un peu plus substantiel !
 
Autour d’une table immense
Sont tous les plus gros bonnets,
Tous ceux de la présidence
Et des divers cabinets :
Députés au verbe intense,
Conseillers municipaux,
De la plus grande importance,
Car ils gardent leurs chapeaux.
 
Leurs noms, comment te les dire ?
Chacun me semble étranger,
Car ils n’aiment se produire
Que s’il s’agit de manger.
Ferry prend avec sa trompe
N’importe quels aliments
Et, sans jamais qu’il se trompe,
Se les fourre entre les dents.
 
Une chose m’interloque
Ainsi que mes compagnons :
C’est que la table où l’on floque
Mange ça que nous mangeons ;
Seul,Lozé le canicide,
Qui ne bronche devant rien,
D’une mâchoire intrépide
Dévore un râble de chien.
 
Parbleu ! ma joie est majeure :
On apporte des gigots.
Je m’écrie : À la bonne heure !
Mais où sont les haricots ?
Floquet, cette fine lame,
Les tranche, à nos yeux surpris :
Peytral demande l’entame
Et Poubelle la souris.
 
Méline, appétit malade,
Aussi maigre qu’un profil,
Réclame de la salade :
« Il ne faut que ça », dit-il.
Le ministre de la guerre
Dit : « Ces gigots sont trop cuits. »
Et Carnot, qui s’exagère,
Dit : « Je mange, donc je suis ! »
 
Ferry, dans ce réfectoire,
Se bourre comme un cocher ;
Il est tout le temps à boire,
Sans s’arrêter de manger ;
On voit que le bon apôtre,
Bravant l’indigestion,
Sait fort bien que c’est un autre
Qui paiera l’addition.
 
Un seul détail m’inquiète :
Quels sont ces bougres qui n’ont
Pour trois qu’une seule assiette ?
Un collègue me répond :
« Devant eux pose ta chique :
C’est Ranc-Joffrin-Clémenceau,
Le triangle symbolique
Sur lequel rien ne prévaut. »
 
Voici venir les fromages,
Maman, tu les sens d’ici :
Des Mont-d’Or, des sassenages,
Et des livarots aussi.
Ferry, si je ne me trompe,
De ces parfums, aussitôt,
En recueille avec sa trompe
Bien plus qu’avec un couteau.
 
Vient le coup de rince-gueule,
Chacun a l’air effaré ;
L’un dit : « Ce breuvage est veule »,
Et l’autre : « Il n’est pas sucré.»
Moi, comme toute autre chose,
Je le bois sans sourciller.
Ah ! maman, tout n’est pas rose
Dans notre fichu métier.
 
Tout à coup, sans crier gare
On apporte le café.
De la liqueur, du cigare :
Nous avons assez briffé.
Puis, on entend un silence,
C’est Floquet qui veut parler,
Oh lala ! minc’ d’éloquence !
Je n’ai plus qu’à m’en aller.
      (C’est ce que je fais.)
 
 

in Courrier de Saône-et-Loire, 19 jullet 1888

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