Claudius Popelin

in Le Parnasse contemporain, III, 1871


Sursum corda


 
Le ciel est pâle, et la rosée
Jaillit partout, perle posée
À la pointe du gazon vert.
Les lointains ont des tons de mauve,
La feuille prend sa couleur fauve,
Dernier feuillet du livre ouvert.
 
La vendange est faite en Bourgogne ;
L’année a fini sa besogne,
Le temps a filé son linceul ;
La blonde automme échevelée,
Ainsi qu’une reine exilée,
A déjà le pied sur le seuil.
 
Elle part sans fermer la porte ;
Princesse effarée elle emporte
Ses perles et ses joyaux d’or.
Son festin reste sur la table ;
Elle fuit l’amant redoutable,
Le triste archange au morne essor.
 
Sous les froides nuits qui les mouillent
Les arbres géants se dépouillent
De leurs cheveux longs et vermeils.
Voici venir comme un homme ivre
Le dur hiver vêtu de givre
Conduit par les pâles soleils.
 
Adieu le beau soir écarlate,
Voici venir le noir pirate
Sur sa flotte aux cent mille mâts.
Ses pavillons sont les gelées
Qui sur les choses désolées
S’étendent en sombres frimas ;
 
Ses matelots, sinistres têtes,
Pour signaux ont pris les tempêtes,
Pour avirons les coups de vent.
Ses larges voiles éployées,
Dans la brume, formes noyées,
Masqueront le soleil levant.
 
Adieu la danse des Almées
Sur les pelouses parfumées ;
Adieu les joyeuses chansons ;
Adieu, sous les vertes charmilles,
Les chœurs rythmés des jeunes filles,
La ronde des bruyants garçons.
 
Adieu, sous les joncs, le Satyre
Dont le lascif éclat de rire
Fait frissonner la nymphe Écho.
Adieu l’amour, adieu le rêve,
Adieu la gaîté qui soulève
Les basques de son caraco.
 
Adieu les nymphes toutes nues,
Au bord des fontaines venues,
Qui, se mirant au pur cristal,
Dans le mystère bleu des ondes
Laissent baiser leurs tresses blondes
Aux flots amoureux du canal.
 
Adieu, belles Hamadryades,
Toutes les mille myriades
Des petits êtres animés,
Le froid sous ses larges sandales,
Vous écrase avec les pétales
Dans les calices embaumés,
 
Adieu l’agreste cornemuse ;
Adieu le fifre qui s’amuse
À brocher sur le tambourin ;
Tout s’enfuit et tout déménage,
Tont s’en va, pour le grand voyage,
Pêle-mêle dans le chemin.
 
Pas même un seul fruit : la main leste
A presque tout cueilli, le reste
Les moineaux francs l’ont tout mangé.
Déjà l’hirondelle déloge,
Il semble qu’en la grande horloge
Le mouvement soit dérangé.
 
Le paysan, dans sa chaumière,
Compte, auprès de sa ménagère,
Ses larges écus de métal.
Les bœufs retournent à l’étable,
Le chien se couche sous la table,
Et les marquises vont au bal.
 
On ne voit plus que des fumées ;
Les syrènes sont enrhumées ;
L’arbre n’est plus qu’un madrier ;
Les chants ne pendent plus aux lèvres,
Et, comme on ne voit plus les chèvres,
On n’entend plus le chevrier.
 
Ainsi l’automne est envolée,
Et la nature désolée
A perdu jusqu’à son manteau ;
L’hiver se couche sur la Terre
Pareil à l’image de pierre
Qui, muette, ferme un tombeau.
 
La grande Corne d’abondance
A tari sa munificence
Et, maintenant, ce qu’il en sort
C’est le regret, c’est la tristesse,
C’est la douleur, c’est la vieillesse,
C’est l’ennui sombre et c’est la mort.
 
Ainsi nous voyons que tout lasse
Et que tout casse et que tout passe,
Ainsi nous croyons tout perdu,
Ainsi de nous rien ne résiste,
Ainsi nous pensons, chose triste !
Que rien ne nous sera rendu.
 
Comme si rien, de ce bas monde,
Et de tant d’astres à la ronde,
Temple infini, devait finir !
Sans songer qu’il faut qu’on sommeille,
Et sans songer que Dieu qui veille
A fait la mort pour l’avenir.
 
Va donc vaillamment, cœur timide,
Car l’hiver est la chrysalide
D’où s’échappera le printemps.
Et la mort, peut-être, est la voûte
Qui, passant sous le sombre doute,
Conduit aux parvis éclatants.
 

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