François Porché

À chaque jour, 1904



Tout le jour, à travers plaines, moissons, prés verts,
Rouges labours, damier qui tournoie, à travers
La panique des peupliers, et des passages
Brusques d’un paysage à d’autres paysages, —
Poteaux et fils où pend en loques la vapeur,
Ferrailles et sifflets et, dans le soir, la peur
D’être gagné de vitesse par la nuit bleue, —
Le rapide a brûlé les rails de lieue en lieue.
Ô cauchemar ! rouler, courir, toujours plus loin !
Affolement des trains surpris par la male heure,
Et toi, dodelinant tes rêves dans ton coin,
Le front cherchant le frais sur la vitre qui pleure,
D’où cette fièvre qui t’agite ? est-ce de voir,
À son poste, là-bas, exacte et quotidienne,
Et patiente et résignée à son devoir,
Telle pauvre gare perdue, humble gardienne
Allumant ses signaux fidèles dans le noir ?
Est-ce regret de fuir, songeant qu’un wagon ivre
Laisse derrière lui, peut-être, un site où vivre
Serait un doux repos plein de roses, pour qui
S’en revient des cités de fumée et d’ennui ?
Mais la nuit qui s’est mise en marche à l’horizon,
Se rapproche en rampant de l’arbuste au buisson,
Et, d’un bond, se cramponne au rapide qui passe !
Et maintenant sa bouche est là, contre la glace,
Qui s’écrase gluante et moite... Rien de plus
Qu’une lueur qui court vite sur les talus,
Et que le battement berceur et monotone
Du train oppressé par l’ombre, qui s’époumone...
 
Compagnons de hasard, dormeurs mystérieux,
Vers quel songe angoissant sont-ils tournés, vos yeux ?
Têtes qui vous penchez si lourdes sous les lampes,
Quelle poursuite a mis ces sueurs sur vos tempes ?
Quel effort pour s’enfuir, en traînant tout le long
D’un ohemin interminable des pieds de plomb ?
Sommeil, relâche du visage, flasques joues,
Où se détend, ô masque, l’orgueil que tu joues !
Fronts ravagés, vieillis tout à coup de dix ans,
Plis des bouches, las de plaisirs ou méprisants,
Et ce désordre des cheveux, ces pattes d’oie.
Flétrissures de la douleur et de la joie !
Compagnons ballottés dans vos manteaux, pressés
D’arriver j’ignore où, venant d’où je ne sais,
Vous que transperce à chaque sursaut des voitures
Cette vrille de quels remords et courbatures,
Serait-ce de porter tant d’ombre de départs,
D’attentes, de destins errants, demain épars,
Que le train haletant d’inquiétude beugle,
Et sent une âme éperonner sa course aveugle ?
Ô froissements des nerfs à vif, lorsque le frein
Dans des jets de vapeur crisse contre la roue,
Noms des gares, criés d’une voix qui s’enroue,
Dans le ruissellement, sur des tôles, d’un grain,
Bruits retrouvés, toujours pareils, et vous, de même,
Images des modernes voyages, qu’on aime :
Odeur de houille, odeur de poussière et de cuir,
Âcre parfum de notre rêve, à nous, de fuir,
De nous évader loin d’où notre âme est liée,
Recluse en quelque chambre et sur soi repliée !
Pour tout de bon, vraiment, un soir comme aujourd’hui,
S’en aller, planter là son âme sédentaire
Avec son pauvre fond de phrases et d’ennui,
Et Dieu sait où, vagabonder... Grande est la terre.
 

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Jасоb : Lе Dépаrt

Βеrtrаnd : Μоn Βisаïеul

Ρоnсhоn : Lе Gigоt

Lа Fоntаinе : Lе Сhаrtiеr еmbоurbé

Jасоb : Silеnсе dаns lа nаturе

Βоilеаu : Sаtirе VΙΙΙ : «Dе tоus lеs аnimаuх qui s’élèvеnt dаns l’аir...»

Sigоgnе : «Се соrps défiguré, bâti d’оs еt dе nеrfs...»

Du Βеllау : «Соmtе, qui nе fis оnс соmptе dе lа grаndеur...»

Βаudеlаirе : Αu Lесtеur

Сhrеtiеn dе Τrоуеs : «Се fut аu tеmps qu’аrbrеs flеurissеnt...»

Τоulеt : «Dаns lе lit vаstе еt dévаsté...»

Riсtus : Jаsаntе dе lа Viеillе

☆ ☆ ☆ ☆

Lаfоrguе : Соmplаintе d’un аutrе dimаnсhе

Vеrlаinе : Lе Dеrniеr Dizаin

Νоël : Visiоn

Siеfеrt : Vivеrе mеmеntо

Dеshоulièrеs : Sоnnеt burlеsquе sur lа Ρhèdrе dе Rасinе

Τоulеt : «Τоi qui lаissеs pеndrе, rеptilе supеrbе...»

Siсаud : Lа Grоttе dеs Léprеuх

Соppéе : «Сhаmpêtrеs еt lоintаins quаrtiеrs, је vоus préfèrе...»

Cоmmеntaires récеnts

De Сurаrе= sur Οisеаuх dе pаssаgе (Riсhеpin)

De Сurаrе- sur «Ιl n’еst riеn dе si bеаu соmmе Саlistе еst bеllе...» (Μаlhеrbе)

De Сосhоnfuсius sur Lа Соlоmbе pоignаrdéе (Lеfèvrе-Dеumiеr)

De Сосhоnfuсius sur Lе Саuсhеmаr d’un аsсètе (Rоllinаt)

De Сосhоnfuсius sur «Μаrs, vеrgоgnеuх d’аvоir dоnné tаnt d’hеur...» (Du Βеllау)

De Xi’аn sur Lе Gigоt (Ρоnсhоn)

De Jаdis sur «Lе Sоlеil l’аutrе јоur sе mit еntrе nоus dеuх...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «Qu’еst-се dе vоtrе viе ? unе bоutеillе mоllе...» (Сhаssignеt)

De Dаmе dе flаmmе sur À sоn lесtеur : «Lе vоilà сеt аutеur qui sаit pinсеr еt rirе...» (Dubоs)

De Yеаts sur Ρаul-Jеаn Τоulеt

De Ιо Kаnааn sur «Μаîtrеssе, quаnd је pеnsе аuх trаvеrsеs d’Αmоur...» (Rоnsаrd)

De Rоzès sur Μédесins (Siсаud)

De Dаmе dе flаmmе sur «Hélаs ! vоiсi lе јоur quе mоn mаîtrе оn еntеrrе...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur «J’аdоrе lа bаnliеuе аvес sеs сhаmps еn friсhе...» (Соppéе)

De Rоzès sur Lе Сhеmin dе sаblе (Siсаud)

De Sеzоr sur «Jе vоudrаis biеn êtrе vеnt quеlquеfоis...» (Durаnt dе lа Βеrgеriе)

De KUΝG Lоuisе sur Villе dе Frаnсе (Régniеr)

De Сurаrе- sur «Épоuvаntаblе Νuit, qui tеs сhеvеuх nоirсis...» (Dеspоrtеs)

De Xi’аn sur Jеhаn Riсtus

De Villеrеу јеаn -pаul sur Détrеssе (Dеubеl)

De ΒооmеrаngΒS sur «Βiеnhеurеuх sоit lе јоur, еt lе mоis, еt l’аnnéе...» (Μаgnу)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе

 



Photo d'après : Hans Stieglitz