Rodenbach

La Jeunesse blanche, 1886


Prologue



À Madame X


À vous dont les cheveux de neige et de clarté
Encadrent doucement la figure indulgente,
— Ainsi dans les grands bois un vieux chêne s’argente
Des fils blancs de la Vierge à la fin de l’été,
 
À vous l’ancienne, à vous la bonne, à vous la seule
Pour qui j’ai de ma vie entrouvert les rideaux,
À vous dont l’âme est blanche autant que vos bandeaux
Et que j’aime à jamais comme on aime une aïeule,
 
À vous qui comprenez, sans l’avoir fait, le mal
Et la fatalité qui dort au fond des choses,
Et qui rêvez aussi devant les couchants roses
Où passent des sanglots dans le vent aromal,
 
À vous dont le pardon m’est acquis par avance
Pour le noir qui se mêle aux blancheurs d’autrefois,
Je veux vous raconter lentement, à mi-voix,
Tout le bonheur obscur de mon heureuse enfance.
 
Enfance ! éloignement d’où lui vient sa douceur !
Nuance où la couleur s’éternise en sourdine,
Religieux triptyque ombré d’une patine
Qui met sur les fonds d’or son vernis brunisseur.
 
Jeunesse ! Enfance ! attrait des choses disparues ;
Astres du ciel plus clairs dans l’étang bleu du cœur !
Chanson d’orgue criard dont toute la langueur
Expire en sons blessés dans le lointain des rues.
 
Je veux vous évoquer la ville aux pignons noirs,
Vieille ville flamande où les paroisses proches
Lorsque j’étais enfant, faisaient pleurer leurs cloches
Comme un adieu de ceux qui mouraient dans les soirs !
 
Je veux recomposer la maison paternelle
Avant l’absence, avant la mort, avant les deuils :
Les sœurs, jeunes encor, dormant dans les fauteuils
Et le jardin en fleurs et la vigne en tonnelle.
 
Je veux revivre une heure à l’ombre des grands murs,
Dans le collège ancien où nos âmes placides
S’ouvraient comme une église aux profondes absides
Avec des vitraux d’or pleins de visages purs.
 
Je veux vous reporter à ces calmes années :
Je suis resté le même après bien des douleurs ;
Le manteau de mon Âme a toutes ses couleurs
Mais mes yeux sont plus las que des roses fanées.
 
Car dans nos jours de haine et nos temps de combats
Je fus de ces souffrants que leur langueur isole
Sans qu’ils aient pu trouver la Femme qui console
Et vous remplit le cœur rien qu’à parler tout bas.
 
Je fus de ces songeurs douloureux et timides !
Ils ont tout dépensé, sans avoir rien reçu,
Mais leur mal glorieux personne ne l’a su :
Le mal des cœurs naïfs et des âmes candides.

Qu’importe ! ma souffrance est bonne ! Je les plains
Ceux qui n’ont plus l’orgueil d’être mélancoliques,
En gardant comme moi les dévotes reliques
Les reliques d’enfant dont mes tiroirs sont pleins.
 
Surtout qu’en toi, ma chère ancienne, je m’épanche
Dans un chuchotement de mon esprit au tien !
Viens donc ; allons-nous-en poursuivre l’entretien
Dans le jardin flétri de ma Jeunesse Blanche.
 
Dans ce jardin désert, dans ce jardin fermé,
Dans ce jardin fleuri de lys, piqué de cierges,
Où jadis s’avançaient d’incomparables vierges
Dont les lèvres soufflaient l’odeur du mois de mai.
 
Mais ce parc est en proie à l’insulte des ronces,
Et mes rêves anciens, dans les lointains glacés,
Tels que des marbres blancs, tendent leurs bras cassés
Et de leurs yeux éteints pleurent dans les quinconces.
 
Pauvre parc envahi par l’automne et le soir,
Qui souffre en évoquant son aurore abolie ;
Il est morne, il est vide et ma mélancolie
L’enferme tout entier comme un grillage noir !
 

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