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Les Apparitions, 1896
L’air s’embrume : voici que l’époque est venue
Où le feuillage tient pour la dernière fois.
Le vent force, et la pluie ayant dormi des mois,
Recommence à tomber sur la terre chenue.
Aujourd’hui, dans son val que rendent fantastique
Le rabougri de l’arbre et le noir du rocher,
La rivière qui vient de se mettre à loucher
Bombe déjà les plis de sa moire élastique.
Avec une lenteur où la vitesse couve,
Silencieuse encore elle traîne son bloc
Et, sous le souffle aigu qui la fend comme un soc,
Commence à faire voir le tourment qu’elle éprouve.
Entre ses bords moitié rocaille et moitié glaise,
Elle qui d’ordinaire a le fluement si doux,
Elle cogne à présent les joncs et les cailloux,
Et lèche l’arbrisseau d’une façon mauvaise.
Ses dessus, par endroits, tachés de feuilles mortes
Qui d’un train plus pressé tournoyantes s’en vont,
Montrent que ses dessous sont brassés jusqu’au fond
Par les convulsions de ses masses plus fortes.
C’est le matin. — Le ciel a soufflé dans l’espace
Le malaise orageux dont il est travaillé ;
Parfois, très sourdement, d’un nuage caillé
Le tonnerre répond au coup de vent qui passe.
Les arbres, les buissons, les rocs, les fondrières
Sont plus blêmes déjà qu’aux approches du soir ;
L’horizon charbonneux porte un grand reflet noir
Sur la lividité hideuse des bruyères.
Et la pluie imprégnant ces rafales d’automne,
Aussi froides bientôt que celles de l’hiver,
Tend ses fils qui, cinglés, se tordent comme un ver,
Puis s’arrête et reprend, compacte et monotone.
Ayant couché le vent, toute seule, enfermée
Par des monts et des bois voilés d’un brouillard bleu,
Elle occupe les airs de ce sinistre lieu
Que voûte le ciel bas d’un dôme de fumée.
Aux rebords des fossés comme aux fentes des pierres,
Sur la vase ou le roc, l’herbe ou le gravier fin,
Elle fait gargouiller toute l’eau du ravin :
Des mares peu à peu naissent dans les carrières.
Tombant à décoller la mousse des rocailles,
Elle morfond le sol, ravine les talus ;
Et les arbres nabots montrent, nains encor plus,
Leur feuillage noyé qui croule entre ses mailles.
Maintenant, la rivière a sa rumeur qui roule,
Et son grondement sourd étouffe crescendo
Le fin crépitement de ces aiguilles d’eau
Criblant droit et serré les bosses de sa houle.
Du jaune encor clairet des eaux de sablières
Elle en arrive au jaune épais de ces étangs,
Espèces d’abreuvoirs fabriqués par le temps,
Qu’alimente parfois le trop-plein des ornières.
Puis, quand elle à foncé les nuances des jaunes,
Elle prend des tons roux qui deviennent du brun,
Du brun tel qu’on dirait qu’elle en a fait l’emprunt
À ces marais huileux qui dorment sous les aunes !
De gris-vert qu’elle était — ton d’écorce et de feuille
Avec un peu du blanc bleuâtre de l’acier,
Elle est de la couleur de ces eaux de bourbier
Où le très gros crapaud s’abrite et se recueille.
Baveuse et boursouflant son eau folle qui claque,
Elle ondule massive au pied fauve du mont,
Emportant si rapide un tel jus de limon
Qu’on croirait voir passer le torrent du cloaque,
Entre les arbres tors aux troncs noueux et caves,
Au milieu du courant qui tire sur les bords,
Passent de grands chiffons semblant vêtir des corps,
Des épines, des bois, toutes sortes d’épaves.
Et l’inondation que la pluie élucubre
S’avance. — La rivière a de puissants flac-flac...
Ayant couvert la berge, elle se change en lac
Dont le milieu moutonne avec un bruit lugubre.
Et malheur aux hameaux ! car la nuit sans un astre,
Sans même quelques points vaguement bruns ou blancs,
Noire, opaque, la nuit des grands déluges lents
Va prêter son mystère à l’horreur du désastre.

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