Rollinat

Les Névroses, 1883


Le Meneur de loups


 

Chant royal


À Jules Barbey d’Aurevilly.


Je venais de franchir la barrière isolée,
Et la stupeur nocturne allait toujours croissant
Du ravin tortueux à la tour écroulée,
Quand soudain j’entendis un bruit rauque et perçant.
J’étais déjà bien loin de toute métairie,
Dans un creux surplombé par une croix pourrie
Dont les vieux bras semblaient prédire le destin :
Aussi, la peur, avec son frisson clandestin,
Me surprit et me tint brusquement en alerte,
Car à cent pas de moi, là, j’en étais certain,
Le grand meneur de loups sifflait dans la nuit verte.
 
Il approchait, guidant sa bande ensorcelée
Que fascinait à peine un charme tout puissant,
Et qui, pleine de faim, lasse, maigre et pelée,
Compacte autour de lui, trottinait en grinçant.
Elle montrait, avec une sourde furie,
Ses formidables crocs qui rêvaient la tuerie,
Et ses yeux qui luisaient comme un feu mal éteint ;
Cependant que toujours de plus en plus distinct,
Grave, laissant flotter sa limousine ouverte,
Et coupant l’air froidi de son fouet serpentin,
Le grand meneur de loups sifflait dans la nuit verte.
 
Le chat-huant jetait sa plainte miaulée,
Et de mauvais soupirs passaient en gémissant,
Quand, roide comme un mort devant son mausolée,
Il s’en vint près d’un roc hideux et grimaçant.
Tous accroupis en rond sur la brande flétrie,
Les fauves regardaient d’un air de songerie
Courir les reflets blancs d’une lune d’étain ;
Et debout, surgissant au milieu d’eux, le teint
Livide, l’œil brûlé d’un flamboiement inerte,
Spectre encapuchonné comme un bénédictin,
Le grand meneur de loups sifflait dans la nuit verte.
 
Mais voilà que du fond de la triste vallée
Une jument perdue accourt en hennissant,
Baveuse, les crins droits, fumante, échevelée,
Et se rue au travers du troupeau rêvassant.
Prompts comme l’éclair, tous, ivres de barbarie
Ne firent qu’un seul bond sur la bête ahurie.
Horreur ! Sous ce beau ciel de nacre et de satin,
Ils mangeaient la cervelle et fouillaient l’intestin
De la pauvre jument qu’ils avaient recouverte ;
Et pour les animer à leur affreux festin,
Le grand meneur de loups sifflait dans la nuit verte.
 
En vain, rampant au bas de la croix désolée,
Je sentais mes cheveux blanchir en se dressant,
Et la voix défaillir dans ma gorge étranglée :
J’avais bu ce spectacle atroce et saisissant.
Puis, après un moment de cette boucherie
Aveugle, à bout de rage et de gloutonnerie,
Repu, léchant son poil que le sang avait teint,
Tout le troupeau quitta son informe butin,
Et quand il disparut louche et d’un pas alerte,
Plein de hâte, aux premiers rougeoiements du matin,
Le grand meneur de loups sifflait dans la nuit verte.
 
 
 

envoi


 
Monarque du Grand Art, paroxyste et hautain,
Apprends que si parfois à l’heure du Lutin,
J’ai craint de m’avancer sur la lande déserte,
C’est que pour mon oreille, à l’horizon lointain,
Le grand meneur de loups sifflait dans la nuit verte.
 

Commentaire (s)
Votre commentaire :
Nom : *
eMail : * *
Site Web :
Commentaire * :
pèRE des miséRablEs : *
* Information requise.   * Cette adresse ne sera pas publiée.
 


Mon florilège

(Tоuriste)

(Les textes et les auteurs que vous aurez notés apparaîtront dans cette zone.)

Compte lecteur

Se connecter

Créer un compte

Agora

Évаluations récеntes
☆ ☆ ☆ ☆ ☆

Βаrtаs : «Jе tе sаluе, ô Τеrrе...»

Vаlоis : «Νоs dеuх соrps sоnt еn tоi...»

Gоmbаud : «Jе vоguе sur lа mеr, оù mоn âmе сrаintivе...»

Rоllinаt : Lеs Étоilеs blеuеs

Rimbаud : Μа Βоhèmе

Νоuvеаu : Εn fоrêt

Hаrаuсоurt : «Ιl plеut sur lа mеr, lеntеmеnt...»

Lоuÿs : Svbsсiptvm tvmvmо iоаnnis sесvndi

Βuttеt : «Vа, mаlhеurеuх соrbеаu, sаturniеn mеssаgе...»

☆ ☆ ☆ ☆

Сеndrаrs : L’Οisеаu blеu

Μаuсlаir : «Jе nе sаis pоurquоi...»

Viviеn : Lа Dоuvе

Gréсоurt : Lе Rаt еt lа Ρuсе

Glаtignу : Ρrоmеnаdеs d’Hivеr

Vеrlаinе : Lе Sоnnеt dе l’Hоmmе аu Sаblе

Αpоllinаirе : «Lе сhеmin qui mènе аuх étоilеs...»

Sаintе-Βеuvе : «Dаns се саbriоlеt dе plасе ј’ехаminе...»

Τаilhаdе : Quinzе сеntimеs

Βаudеlаirе : Sеmpеr Εаdеm

Cоmmеntaires récеnts

De Сосhоnfuсius sur «Hа, quе tа Lоi fut bоnnе, еt dignе d’êtrе аpprisе...» (Rоnsаrd)

De Сосhоnfuсius sur Sеmpеr Εаdеm (Βаudеlаirе)

De Сосhоnfuсius sur «Ρаrfums, соulеurs, sуstèmеs, lоis...» (Vеrlаinе)

De Сurаrе- sur «Ιсi dе millе fаrds lа trаïsоn sе déguisе...» (Du Βеllау)

De Сurаrе- sur Lа Ρоrtе vitréе (Lа Villе dе Μirmоnt)

De Сhristiаn sur «Lе сhеmin qui mènе аuх étоilеs...» (Αpоllinаirе)

De Сurаrе- sur «Νi vоir flаmbеr аu pоint du јоur lеs rоsеs...» (Rоnsаrd)

De Ιо Kаnааn sur Jоуаu mémоriаl (Sеgаlеn)

De Lilith sur «Се fut un Vеndrеdi quе ј’аpеrçus lеs Diеuх...» (Νuуsеmеnt)

De Сurаrе_ sur Lе Dоnјоn (Rоllinаt)

De Сhristiаn sur Lе Μusiсiеn dе Sаint-Μеrrу (Αpоllinаirе)

De Ιо Kаnааn sur «Αh trаîtrе Αmоur, dоnnе-mоi pаiх оu trêvе...» (Rоnsаrd)

De Jаdis sur Lе Dоrmеur du vаl (Rimbаud)

De Сhristiаn sur Lа Сhаpеllе аbаndоnnéе (Fоrt)

De Huаliаn sur Lа prеmièrе fоis. (Τоulеt)

De Βеrgаud Α sur Lеs Gеnêts (Fаbié)

De Jаdis sur Lе Rоi dе Τhulé (Νеrvаl)

De Jаdis sur «Τоut n’еst plеin iсi-bаs quе dе vаinе аppаrеnсе...» (Vаlléе dеs Βаrrеаuх)

De Jеаn Luс ΡRΟFFΙΤ sur Ρrièrе dе соnfidеnсе (Ρéguу)

De Lilith sur Vеrlаinе

De Βоb dit l’ânе sur Саrоlо Quintо impеrаntе (Hеrеdiа)

Plus de commentaires...

Flux RSS...

Ce site

Présеntаtion

Acсuеil

À prоpos

Cоntact

Signaler une errеur

Un pеtit mоt ?

Sоutien

Fаirе un dоn

Librairiе pоétique en lignе